S'il n'est pas simplement oublié, G. Pompidou est souvent mentionné comme un ancien dirigeant, gaulliste et "conservateur". Or, Premier ministre, puis Président de 1962 à sa mort en 1974, il a su au contraire sentir sous quels vents nouveaux il devait faire avancer le bateau France : industrie, certes, mais aussi progrès social, aménagement de l'environnement, indépendance nationale dans un monde interdépendant. Prolongement de l'action de Gaulle ? Oui, mais surtout l’élargissement de cette action dans un mode humaniste que de Gaulle n'avait pas. Ce livre remarquable nous rappelle tout cela, en montrant combien certaines des orientations prises par Pompidou seraient encore dignes de guider l'action politique contemporaine.

 

Ancien élève de l'ENS, puis professeur de lettres, il eut, avant d'être appelé en politique, un vrai métier qui, associé à son sens et son goût du concret, lui conféra une expérience de ses contemporains et de leurs problèmes. Il aimait la vie, tout ce qu'elle a de beau et de bon, et souhaitait que son action politique contribue à faire partager cela. Humaniste, convaincu que la voie du progrès scientifique et technique était bonne sous réserve de sa maîtrise, il sut mettre celle-ci au service du progrès social qu'il associait à la croissance économique, carburant de la satisfaction des attentes humaines, de préférence à une simple politique de redistribution qu'il estimait insuffisante.

Le livre montre tout ce qui est dû à ses décisions et ses choix industriels et qui, pour partie, a résisté à la désindustrialisation paresseuse et à court terme de ses successeurs. Il eut un rôle majeur dans la politique énergétique (développement du nucléaire), dans la naissance du TGV, d'Airbus et du spatial, etc. Qu'il n'y a pas d'indépendance sans une économie forte et une maîtrise des technologies était son crédo. Que penserait-il de la dépendance absolue où la France et l'Europe se sont laissé tomber, en matière de défense, d'énergie, de technologie, en partie sous l'influence de l'Allemagne, puissante dans la conduite des choix européens, mais victime de sa politique internationale ?

Il eut aussi, en matière d'institutions, un rôle de préservation active de la constitution de la cinquième république qui apportait enfin une stabilité au gouvernement de la France. Il avait aussi compris que le passage au quinquennat conduisait à un renforcement présidentiel, même si pour des raisons peu claires il se laissa convaincre ultérieurement. Il eut même, semble-t-il, la tentation de la suppression du Premier ministre.

En matière de politique extérieure, il fut un artisan actif de l'Europe des nations et un adversaire résolu de toute supranationalité, en contradiction, à mon sens, avec l'intention des fondateurs qui plaçaient une Europe fédérale en objectif. Qui a raison ? Le pragmatisme de Pompidou le portait évidemment à cela, mais n'est-ce pas au risque de l'usure, de l'excès administratif et de l'impuissance qui sont notre lot européen actuel ? Il n'en reste pas moins qu'il avait compris que le monde s'orientait vers une ouverture dont l'influence sur les politiques nationales devait être prise sérieusement en compte. Là aussi, sa vision était bien éloignée de celle d'un "conservateur" !

Ainsi, ce livre nous parle d'un homme qui fut sans doute un des plus grands présidents de la France, mais surtout il nous parle de ce que nous sommes, ici et maintenant. Utile réflexion dans des temps où la boussole vacille et un rappel majeur que, même si nous vivons poussés par nos rêves, le pragmatisme et le respect de la réalité sont essentiels pour donner à nos actes le poids qu'ils doivent avoir. C'est d'abord cela, la leçon de Pompidou.

L'Observatoire (2024), 285 pages