Derrière une intrigue futuriste où les humains atteignent "l'immortalité" par un clone numérique, ce roman approche et illustre avec élégance de nombreuses questions propres à notre civilisation et dont la réponse nous divise. Des personnages incarnent ces questions avec habileté et l'auteur nous fait ressentir, avec eux, l'urgence et parfois même la violence qu'elles provoquent en nous. Un roman intelligent, même s'il est parfois à peine vraisemblable, efficace, bien écrit et qui enrichit notre réflexion.

 

Prenons d'abord l'immortalité. Il existe une vieille règle, que l'histoire a validée, qui est la suivante : tout ce que l'homme peut faire, un jour ou l'autre, il le fera, sans considération pour la valeur morale de ses actes et quelles qu'en soient les conséquences. L'homme est curieux et inventif et cela lui a donné sa puissance. Les progrès de son savoir, en particulier en électronique et en biologie, permettent de penser qu'une forme d'immortalité sera un jour possible à grands frais. Sera-t-elle désirable par tous, imposée, qui paiera, etc. ? Le roman incarne cette furia de recherche chez une jeune femme performante et les doutes du bien-fondé de la démarche chez une autre, sa mère, la bénéficiaire. Écoutons bien les deux voix !

Passons à un autre personnage, Roman, qui m'a touché, car il me semble résumer à lui seul un danger potentiellement mortel de notre société démocratique. Il a compris que la promesse de l'échelle sociale est un leurre quand la hauteur à grimper devient vertigineuse. Promesse qui avait un sens quand une classe moyenne était accessible à tous ou presque, mais qui devient un mensonge social quand seule une toute petite couche, au sommet, emporte presque tous les bénéfices du progrès. Alors la société se divise et ceux qui savent qu'ils resteront au pied de l'échelle recréent par des mythes, comme l'identité, le racisme ou autre, une raison mauvaise et toxique de vivre ensemble, au prix du rejet des institutions qui leur ont menti. Ils sont soignés, éduqués, mais ils ont compris qu'ils sont et resteront des parias, du mauvais coté d'une société fracturée. Ils auront un jour un messie, comme un Trump en gilet jaune, qui prendra le pouvoir et ne résoudra rien. C'est ce type de désespoir qui a amené Hitler.

Une troisième incarnation fait frémir, celle des hyperentreprises comme Meta ou Apple, dont les budgets dépassent ceux de nombreux états et qui imposent leurs intérêts aux états qui les hébergent. Ici, Steven et Mark dirigent un tel monstre, dont la finalité est l'immortalité. Qui, en démocratie, a le pouvoir d'infléchir leur action, même si elle dévie de l'intérêt général ? Un avatar de Xi Jinping, peut-être, mais à quel prix ?

D'autres points sont abordés, comme le rapport entre liberté et responsabilité, lien bien souvent oublié dans les revendications courantes à pouvoir dire et à faire tout ce qui passe par la tête, sans filtre.

Voici donc un livre fort, doté d'une intrigue que l'on suit avec l'attente de la solution propre aux bons romans, mais qui offre, à ceux qui le souhaitent, l'occasion de réfléchir un peu.

Calmann Lévy (2023), 375 pages