Ce roman de 1813 est un régal. On objectera peut-être que le mariage des jeunes filles, le sujet de fond du livre, n'a plus la même importance pour leur avenir économique qu'il avait à cette époque. Certes. Il n'en a d'ailleurs plus aucune aux yeux de beaucoup, devenu on/off et la maigre reproduction se faisant à 65 % hors mariage. Mais ce roman offre, avec un humour mâtiné d'ironie, une peinture précise d'une société, comme dit le préfacier, patriarcale et patrimoniale, aux règles solides, construite sur les vertus et les travers des hommes et sur leur capacité à générer et maintenir ce lien social. Nous avons dans ce domaine beaucoup à réapprendre et ce roman si bien écrit et traduit nous y convie !

 

Ce livre m'a particulièrement touché, car l'auteur ne joue ni la féministe, ni la contemptrice d'un système oppressif (il l'était !), mais l'observatrice piquante du comportement humain dans ce système. Ce sont donc les qualités humaines qu'elle valorise, qualités exercées dans le cadre de ce système, mais qui ont de nos jours la même valeur. Elle a une plume vive et souvent drôle quand elle expose le désaccord entre un personnage et son rôle social mal tenu, que ce soit la mère de famille sotte et de mauvais conseil (Mme Bennet), le pasteur stupide, gonflé d'orgueil et cupide ( Collins) ou la femme du monde riche, imbue d'elle-même et sans jugement (lady Catherine). Elle décrit des êtres qui ne sont pas à la hauteur de leur rang, même modeste. Elle ne critique pas un système ; elle observe et juge les hommes.

J'ai pourtant été frappé par un point que ne cite d'ailleurs pas l'excellente préface du roman. L'auteur manifeste bien plus sa confiance en l'homme et ses qualités qu'en un système qui allait d'ailleurs craquer. Elle accepte des dérogations profondes à ses règles quand la qualité humaine des êtres est telle qu'elle assurera le bienfondé de ces écarts. Un exemple évident est le mariage entre personnes de "classes" différentes. La romancière avait perçu que les qualités humaines étaient un bagage dont l'importance excédait tout autre, comme rang, fortune, bénéfices, etc. On ne peut qu'être impressionné par cette vision à l'orée du 19e siècle, chez une femme simple et peu ouverte au monde. Peut-être pressentait-elle déjà que ces règles sociales et cette morale, fondées sur la richesse terrienne et sa stabilité, commençaient à ne plus correspondre à l'évolution du monde.

Enfin, si l'on accepte des règles du jeu qui ont plus de deux cents ans, l'intrigue qui n'est autre que le long chemin qui conduit à la récompense de la vertu et du caractère se lit encore de nos jours avec un immense plaisir. Un livre à (re) découvrir.

Folio classique (1813), 469 pages