À la lecture de ce livre, on ne peut pas se retenir d'un mouvement de recul, tant ce qu'il avance est à la fois énorme et en même temps, largement ignoré. Il faut les qualifications de l'auteur pour en accepter le contenu, d'ailleurs appuyé sur une documentation impressionnante. La conclusion est simple et propre à la fonction présidentielle américaine : cette élection a besoin des voix des ouvriers, dont les syndicats sont totalement dans la main des Mafias. L'accord est simple, qui consiste à échanger contre ces votes des promesses de "douce tolérance". Si la promesse n'est pas tenue, la sanction est lourde. L'exemple de la famille Kennedy en fut un parmi d'autres, car tous les présidents ont eu à gérer ce cas de conscience. Bonne lecture !

 

Rappelons d'abord ce qu'on entend par Mafia. Il s'agit d'une association locale clandestine, dont le but est de s'enrichir par des voies non reconnues par la loi et dont les domaines d'action sont nombreux et évoluent. On connaît la drogue, le jeu, la prostitution, le racket, les hold-up, l'immobilier pour le blanchiment d'espèces, les arnaques internet, mais il y a bien d'autres voies. En revanche, la structure de commandement de ces "industries", bien décrites dans l'essai, est de type dictatorial, avec plusieurs strates de commandement. Le lien qui unit les participants est une déclaration de loyauté ascendante où chacun offre sa vie en garantie. La mise en œuvre de celles-ci s'appelle un "règlement de compte". Ces associations sont souvent nommées "Familles" et règnent sur des régions bien délimitées du territoire.

Le lien évoqué au 1er paragraphe associé à l'échange de votes contre des services futurs n'est pas le seul. Les présidents ne sont pas que cela ; ils ont une famille (le père des frères Kennedy a fait sa fortune avec la Mafia), ils ont d'autres activités (Trump est profondément mouillé par ses activités immobilières, de casinos, de jeux, etc., et par les hommes qui l'entourent) et peuvent avoir flirté eux-mêmes plus ou moins directement avec ces milieux. Les exemples du livre sont nombreux. La tentation d'un enrichissement rapide est, après tout, le crédo des affaires, mais, en principe, dans le cadre de la loi. Or, la réalité n'est pas non plus blanche ou noire et certains procédés, dit "limite" sont fréquents quand la notion même de limite est d'une élasticité large ! Trump, par exemple, en faillite plusieurs fois (c'est un mauvais gestionnaire), a dû recourir à des sauveurs au parfum incommodant. La zone grise entre le juste et l'inacceptable est immense et floue, ce qu'on oublie souvent et l'escalier qui les relie est souvent un lieu de faux pas.

Le livre se veut irréprochable sur ce qu'il avance et ceci l'oblige à fournir une documentation détaillée et multiple, ce qui en rend la lecture parfois un peu lourde. La difficulté n'est pas insurmontable. Pour faciliter les choses, il me paraît souhaitable de ne pas chercher à lire en première lecture les chapitres de tous les présidents, mais de se limiter à ceux pour qui on a un intérêt particulier et de revenir ultérieurement sur un ou plusieurs autres.

En tout état de cause, le lecteur ne s'ennuie pas au fil de ces découvertes et je suis persuadé qu'il se demandera, comme moi, pourquoi ils ont agi ainsi et s'ils avaient d'autres choix. Passionnant !

Plon (2023), 573 pages