Quel beau livre ! Ce récit d'une mort, paisible, presque joyeuse m'a vivement ému, tant il implique une humanité simple, une liberté et un respect mutuel de chacun des acteurs lors de ce passage, accepté ici comme naturel et qui sera franchi avec légèreté, avec grâce, même. Tu vas t'endormir et tu ne te réveilleras pas. Alors c'est bien, répond-il. Comme le ferait un être, élégant et discret, qui s'éloigne et ne reviendra pas, laissant derrière lui, non le souvenir de sa disparition, mais celui du bonheur d'avoir un peu partagé sa vie.
Le défunt, Bernard Mélois, est un sculpteur profondément original et l'auteur est une de ses filles, qui l'a accompagné tout au long des trois ans qui se sont écoulés entre la découverte de sa maladie et son décès, comme l'ont fait ses proches. Saluons à ce propos les liens d'affection et de respect réciproques qui ont uni cette communauté tout au long de ces trois ans ! Il faut dire que Bernard Mélois, avec qui j'ai passé quelques heures dans son atelier en 1996, est quelqu'un qu'on n'oublie pas !
L'esprit dans lequel ces années se sont déroulées fut remarquable. Sagesse stoïque devant la mort, certes, mais riche, joyeuse même, remplissant chaque instant d'un détachement et d'un humour aussi vif que celui qui animait le sculpteur dans sa création. Ces instants ont été remplis non par l'échange de sentiments ou par l'expression d'une compassion, mais par des projets qui se pliaient sans fausses manières à la situation. On va peindre ton cercueil, Papa. Quelle couleur tu voudrais ? Cette sérénité devrait combler les attentes de Paul Valéry exprimées dans la citation placée en exergue du livre. Il fallait être heureux, mais aussi avoir profondément conscience de l'être pour accomplir cela ! Chacun refuse ici le drame, tempête des émotions, pour y substituer la recherche de ce qui peut encore être partagé, ici et maintenant, et ajouter une dernière pierre à un bonheur de vivre commun, sans d'ailleurs aucune arrière-pensée métaphysique.
Le livre est écrit d'une plume légère et restitue parfaitement la situation, sans larmes ni regret. Le fil du récit n'est pas donné par le déroulement du temps qui aurait fait croitre l'angoisse à l'approche de l'échéance fatale, mais par les souvenirs et leurs enchevêtrements si riches en rebondissements. Cette liberté confère au texte sa souplesse, parfaitement accordée à son déroulement. Elle concrétise aussi la valeur forte que l'on sent emplir l'auteur aussi bien que son père, une liberté respectueuse des autres et de leurs particularités, mais aussi des contingences de nos vies sur lesquelles notre volonté reste impuissante. L'humour qui ici, enveloppe tout, est certes une prise de distance, mais donne en même temps à ce stoïcisme vécu, une vibrante humanité. Un livre qui fait du bien.
L'Arbalète Gallimard (2024), 205 pages