Ce livre est une grande réussite et se lit presque comme un roman auquel s'ajoute le plaisir d'apprendre. Son sous-titre "Un nouveau récit de l'évolution humaine" annonce bien le contenu. Il met, entre autres, en évidence deux facteurs, dont il montre toute l'importance au cours de l'évolution, à savoir d'une part les équilibres énergétiques corporels et comportementaux et d'autre part le cerveau dont la taille, la composition et le mode de croissance ont été des facteurs clés de l'évolution de l'espèce de la branche humaine (Les Hominines). J'ai particulièrement apprécié les premières parties du livre, où l'on découvre les ruses des paléoanthropologues pour réussir les puzzles leur permettant d'aboutir à des reconstructions vraisemblables d'un passé dont on a du mal à se figurer la taille. Fascinant.

 

Que l'homme soit une machine ou plus que cela est un autre débat. Mais il en est incontestablement une, au moins pour partie, qui permet l'action et la pensée. Et c'est elle qui va subir sans cesse au cours du temps (on parle ici de plus de 2 millions d'années pour l'espèce Homo et de 7 millions pour les espèces de transition précédentes) des épreuves d'adaptation aux conditions terriblement changeantes du monde. La machine se modifie alors pour mieux performer face à ces changements, ou même survivre et c'est ce qu'on appelle l'évolution. Or une machine, quelle qu'elle soit, même humaine, a besoin d'énergie pour accomplir ses tâches, énergie sans laquelle elle s'arrête. L'auteur montre avec beaucoup de clarté d'une part, comment et combien les Hominines ont récolté cette énergie (leurs nourritures) et comment, d'autre part, leur "machine" l'a utilisée pour croitre, vivre et se reproduire. Un exemple : un cerveau d'homme actuel, qui représente 2% du poids de la machine, consomme 20% de l'énergie disponible. Le métabolisme du corps privilégie toujours la conservation de ce ratio, même dans les pires épreuves, comme les famines.

Mais, comme l'indique le titre, c'est le cerveau des Hominines qui est le sujet central du livre. Il montre aussi comment, par l'évolution, Sapiens a acquis le cerveau dont il dispose. Grandir ? Oui, considérablement, en effet, par rapport aux autres espèces. Mais avec d'incroyables ruses. En voici une : si l'homme naissait avec un cerveau proportionné à son corps dans le même rapport que chez l'adulte, la femme n'aurait pas le bassin assez large pour accoucher. Ou alors, si elle avait élargi son bassin au cours de l'évolution pour le permettre, sa marche aurait été difficile et ses organes auraient manqué d'assise. Mauvaise solution, rejetée par l'évolution. Alors l'enfant nait avec un cerveau qui devra grandir 4 fois pour devenir adulte, quand ce ratio n'est que de 2,5 chez un chimpanzé ! Une longue dépendance du petit humain à ses parents en est une des conséquences. Voici un exemple des passionnantes informations que ce livre apporte sur notre espèce. Les découvrir a été pour moi presque addictif !

Ce récit de l'évolution de notre espèce et des contraintes qu'elle a connu est donc présenté ici d'une façon accessible à chacun et, me semble-t-il, assez complète. Le domaine ayant progressé rapidement, j'ai trouvé cette mise au point par un auteur qui a les compétences pour cela et le talent pour en faire un livre d'accès agréable, mérite toute notre attention ! Une question, quand même : l'évolution de Sapiens continue-t-elle, ou le maintien de la ligne droite par la médecine l'entrave-t-il ?

Robert Laffont (2024), 317 pages