Chroniques de la modernité à l'époque de la Sécession viennoise
Entre la fin du 19e siècle et la guerre, Vienne a connu une période intense et créative de production artistique, que ce très beau livre fait redécouvrir au moyen de 6 biographies d'artistes qui ont marqué leur époque, tels que Klimt, Otto Wagner, Schönberg, etc. Elle a aussi bien vite connu une époque politique tragique, mais c'est une autre histoire. Ces biographies montrent parfaitement l'ébullition de toute une société et ses contradictions, entre un ensemble de valeurs traditionnelles qui avaient fait sa grandeur, mais commençaient à fermenter et une volonté d'utiliser jusqu'à l'absurde la liberté de ce temps. Préfiguration de notre propre époque, créativité en moins ?
En 1986, une remarquable exposition avait eu lieu au Centre Pompidou, Vienne 1880-1938, L'apocalypse joyeuse, dont le catalogue encore disponible, fait un point illustré et précis sur cette époque. Ce catalogue accompagne parfaitement ce livre qui manque d'illustrations. On peut cependant en trouver facilement sur le web.
On ne peut qu'être impressionné par la profondeur et l'intensité des forces à l'œuvre dans cette brève première période, celle ayant suivi la fin de la guerre jusqu'à l'Anschluss ayant été moins spectaculaire. De plus, il ne s'agit pas simplement de peinture, mais aussi d'architecture, de musique, de sculpture, etc. Il s'agit aussi de mettre en question le rôle social de l'art où les notions de nécessité, de satisfaction des besoins sont invoquées, en particulier en architecture, comme le fera Otto Wagner, par exemple. Le Corbusier en sera une prolongation un peu absolue et sévère en France.
Un autre aspect qui caractérise cette époque créative aura été la recherche des liens entre ces arts et de leur emploi équilibré simultané, particulièrement en architecture et dans la fabrication d'objets utilitaires. Le décor surajouté est abandonné pour faire place à une œuvre qui marie toutes les formes artistiques dès sa création. C'est en fait la difficile recherche de l'œuvre artistique globale, idée d'ailleurs reprise ultérieurement par Wagner dans ses opéras. Qualité des matériaux, beauté des formes, équilibre des couleurs, tout cela doit se combiner harmonieusement. L'architecte concevra par exemple les meubles, les tissus ou les objets utilitaires du projet en même temps que l'habitation et son insertion dans la nature.
Vienne fut le centre privilégié de ces percées et préoccupations artistiques, mais presque chaque pays partageait l'élan de cette révolution. Il suffit de se promener à Riga, en Lettonie par exemple pour s'en convaincre. Ce qui me frappe et confirme le bien-fondé de ces percées est qu'elles conservent leur poids, aujourd'hui encore dans les préoccupations des créateurs artistiques, plus de 100 ans plus tard. Certes, des excès ont eu lieu, comme en musique dite sérielle, provoquant ensuite un retour à la raison. Mais quelle richesse créée, dans une époque de bouleversements sociaux et politiques dont on connaît les conséquences ! Un très beau livre.
Eyrolles (2021), 214 pages