Ce roman offre un beau voyage dans le 19e siècle littéraire, siècle de Balzac, Dumas, Baudelaire, Sand et tant d'autres. C'est un voyage sans bagage, au fil de l'eau, une somme d'instants auxquels l'auteur nous convie pour notre plus grand plaisir. Rien de didactique ni d'analytique n'est proposé ici, mais simplement des tranches de vie savoureuses et probablement assez fidèles, des vies d'écrivains, que l'étude à l'école a un peu momifiés. Et, même si je ne suis guère Baudelaire, qui juge fort utile la connaissance des vies pour entrer dans les œuvres, j'apprécie ici une merveilleuse plongée dans l'air vif et riche d'un temps qui a été celui d'un sommet de la littérature française.
On notera aussi le récit fringant des journées de la révolution de 1830 (les 3 glorieuses) qui ajoute à ce livre une nuance historique bien menée qui se manifestera ici et là dans le récit, sans en faire pour autant un roman historique. J'aurais rêvé qu'on m'enseignât l'histoire ainsi !
Mais c'est surtout la vie des écrivains qui fait la valeur du livre en ouvrant des voiles, parfois bien indiscrètement, sur leurs comportements humains. Sans chercher le croustillant, l'auteur n'hésite pas à rappeler qu'ils sont des hommes parfois faibles et faillibles. Cela les rend humains à nos yeux, quand bien souvent leur gloire fait oublier qu'ils avaient, comme chacun d'autres désirs, d'autres besoins, comme le succès, la reconnaissance, l'argent, le sexe, etc. Il convient aussi de replacer tout cela dans le fil d'une époque d'un formalisme social assez rigide et très artificiel, où sous une apparence d'ordre formel, la vie de la bête gardait ses traits naturels et souvent sauvages.
J'ai beaucoup aimé la légèreté du style de l'auteur, qui se marie parfaitement avec la ligne discursive du livre. Ici un Balzac sous un faux nom cloitré dans un de ses domiciles pour y travailler comme un forcené et échapper à ses créanciers que l'on retrouve l'instant suivant dans un salon dont ce siècle avait le secret. Là un Dumas menant lui aussi un train de vie longtemps au-dessus de ses moyens, mais capable de succès d'éditions tels qu'il construira à Marly un château dit de Monte-Cristo ! L'invitation de l'auteur à accompagner ces moments précieux, vivants et si humains est un privilège qu'il serait dommage de manquer !
Grasset (2024), 415 pages