ormesson chant esperance

 

L'auteur se livre à un nouveau "pari de Pascal", proposant de montrer qu'il y a plus d'avantages à croire en Dieu que l'inverse. Encore ce pari difficile, à mes yeux, car, après tout, si Dieu existait, qui aurait encore besoin d'y croire ?

L'état du savoir

En honnête homme, l'auteur est bien conscient que toute méditation sur ce sujet ne saurait ignorer les acquis de notre représentation scientifique de l'univers. JdO fait alors au début de son ouvrage une présentation vivante et documentée de l'état de notre savoir en cosmologie. Toujours cette vieille idée que Dieu est dans le ciel...

Il en tire d'abord des conclusions qui ne sont pas pour déplaire au vieux physicien que je suis. Espace et temps sont l'enveloppe des événements de notre monde qui sont dictés par le hasard (mécanique de la décision devant des choix indécidables) et la nécessité (les lois des événements). Et, hors de cette enveloppe, il n'y a "rien", c'est à dire rien qui soit accessible à l'observation ou à la pensée de l'homme. Tout cela est bien en ligne avec le savoir actuel.

Difficultés

Première difficulté : le "big bang". Que les mots sont traîtres ! En particulier ici celui de "création" que JdO applique au "big bang". Pour qu'il y ait eu création, il aurait fallu une suite temporelle d'états, le premier vide, suivi d'un autre où l'univers aurait été "créé". Ce qui implique l'existence du temps... alors qu'il n'est pas encore créé, étant l'enfant de ce big bang. On tourne en rond... Début, origine, temps 0 du temps, etc. oui, mais pas "création" donc. Ici ce mot est vide de sens. Ce vide passe au carré si nous suivons la pensée de l'auteur, car pour cette création qui n'a pas eu lieu (dans les limites de notre représentation du monde), il trouve un responsable, Dieu, situé hors de toute capacité de représentation. Un Dieu dont il dit lui-même qu'il est "rien", "absent". C'est beaucoup et est ce bien nécessaire ?

De plus, notre actuelle théorie quantique, toujours remarquablement valide dans ses prévisions confirmées par l'expérience, affirme que ce début du big bang, nous ne le connaîtrons jamais (mur de Planck). Mauvaise nouvelle, car cela peut signifier que ce n'était peut-être ni un début, ni une origine... Il est fort désagréable de ne pas savoir, mais c'est ici le cas. Et, comme le génie de l'homme contemporain s'applique plutôt au commerce, à la fabrication d'objets et à la célébration des dieux, je redoute que la mécanique quantique (elle a 100 ans) trouve rapidement un successeur. C'est portant là que je mets mon "espérance", car notre vision théorique actuelle de l'univers craque de partout, déchirée entre matière et énergie noires entre autres. Une réécriture conceptuelle de notre représentation du monde devient indispensable.

Notre pensée et ses limites ?

Je voudrais à ce propos exprimer ici une conviction, pleine de conséquences. Toute notre évolution montre la complète continuité des espèces vivantes. Il n'existe aucune raison ni nécessité de placer l'homme en dehors de cette ligne. Or, mon chat, pour qui j'ai respect et considération, non seulement n'a pas inventé la mécanique quantique, mais n'y comprend rien. 99% de mes proches non plus d'ailleurs et même moi qui l'ai étudiée, j'ai des trous. Et pourtant sans elle et sans la relativité, plus de la moitié des produits et services qui nous entourent n'existeraient pas (ordinateurs, GPS, smartphones, lasers, etc.). Ceci conduit à supposer qu'existe une limite de la capacité de la pensée, propre à chaque espèce. Le faible nombre "d'initiés" chez l'homme, l'absence d'évolution fondamentale de notre représentation physico-mathématique du monde, analogue à la relativité et à la mécanique quantique, qui ont 100 ans, font craindre que notre espèce soit proche de cette limite. Il deviendrait alors vain d'espérer aller beaucoup plus loin dans notre représentation de l'univers que là où nous en sommes. Ce qui n'empêchera pas l'iPhone 71 bis, d'apporter à l'humanité bonheur et réconfort et à de nombreux "scientifiques" de redouter l'apocalypse nucléaire, climatique ou autre pour justifier leur gagne-pain.

Dieu ou les hommes ?

Cette digression nous éloigne-t-elle de Dieu ? Oui et non. Je comprends qu'il soit dérangeant de reconnaître nos limites et tentant de se projeter ailleurs. Mais avec quoi et pour quoi faire ? Avec la pensée, pour introduire le concept de Dieu en dehors du champ ouvert à cette pensée, l'enveloppe dont on parlait plus haut.. Pas très honnête, même si on peut juger ce produit de la pensée, Dieu, simplificateur et rassurant. Rassurant comme un djihad ?

Alors, lorsque l'auteur écrit page 58 "s'il fallait parier, je parierais plutôt sur un Dieu, tombé si bas dans les sondages, que sur les hommes si contents d'eux", j'ai de la peine de le voir préférer un fantasme aux hommes réels. De la peine parce qu'il a su mesurer avec intelligence la complexité et les limites de notre état, mais parce qu'il fuit dans le refuge épuisé et plutôt stérile de la foi, maladie à la mode. Relisons donc Montaigne qui au 16e s. avait déjà compris tout cela.

Un humanisme biaisé

Que JdO exprime dans une belle langue poétique sa sensibilité à la vie et aux hommes en particulier, le rend à tous sympathique et consolant comme un frère en humanité. Et pourtant, la préférence qu'il déclare ci-dessus fait craindre un peu d'affectation. Il n'y a pas besoin de dieux pour aimer la vie ; on peut même les craindre, leur fonds de commerce étant de promettre un au-delà radieux en méprisant la vie, lieu de souffrance et de malheur. Je pense même que l'histoire a assez prouvé que les valeurs absolues indémontrables (dieux, races, et prolétaires idéalisés entre autres) jouent beaucoup plus contre l'homme qu'en sa faveur.

Garder raison

Acceptons la faiblesse et l'incomplétude de notre pensée et de notre caractère et vivons avec sans fabriquer des baudruches. Pensons que nous sommes limités. Poursuivons la lutte permanente contre ce que nous sentons comme le mal, résistons à la lâcheté. N'espérons pas d'un Dieu qu'il nous initie. Nous le sommes déjà, à l'intérieur des bornes de notre espèce.

Héloïse d'Ormesson (2014) - 121 pages