Sous un titre qui peut paraître évoquer une biographie de plus se cache un excellent roman qui couvre les deux tiers du siècle passé et ne manquera pas d'évoquer de nombreux souvenirs à ceux nés dans la seconde moitié du 20e siècle. Sans oublier la création de journaux par cette famille et ses titres encore actifs de nos jours, comme Les Échos et L'Express qui continuent à défendre le respect des faits qui caractérise le journalisme véritable face à la déferlante du n'importe quoi des réseaux. On y trouvera aussi ce que fut la vie d'une famille juive qui a su construire son destin dans un monde hostile et en dépit de ses failles internes et des ambitions personnelles de certains de ses membres. Un très beau livre.
L'auteur montre bien comment l'ambition journalistique des Schreiber pour Les Échos a été fondée sur une intelligence soigneuse et jamais complaisante des attentes des lecteurs potentiels. Il ne s'agit pas d'informer pour informer, mais de découvrir et satisfaire un besoin de certains acteurs du monde économique, ici, ce furent au début les exportateurs français avec l'objectif de leur apporter ce dont ils ont besoin. C'est sans doute l'essence même du marketing, mais encore faut-il le réaliser, avec persévérance, et remettre l'ouvrage en chantier sans cesse. Le succès n'est pas le fruit du hasard ! Le lancement de L'Express montrera autant d'intelligence, alors que le journal est plus généraliste. Mais il montrera aussi qu'un alignement politique comme le sien était un danger quand la tendance politique choisie perdait sa place dans l'opinion publique et surtout le fait qu'une presse d'opinion prend à la longue le risque de trahir les faits et de passer du journalisme à la propagande.
Le second point qui m'a frappé a été cette capacité d'une famille à réunir, sans complaisance, les meilleures compétences internes et la bonne volonté de tous pour atteindre un objectif. On imagine facilement les points de vue différents que les uns et les autres pouvaient avoir sur des projets qui engageaient les ressources financières de la famille. Et, quand il s'agit d'argent, le ton monte souvent. Ce ne fut pas le cas de la famille Schreiber, qui éclata cependant, mais assez tard, pour des questions de pouvoir et d'honneur avec un arrière-plan politique.
On ne manquera pas non plus d'apprécier la philosophie de comportement qu'eut la famille du père d’Émile face aux problèmes posés par leur intégration en France. Leur choix, aidé par leur athéisme, fut une intégration complète, profonde, et le refus de tout communautarisme. Émile fit même le choix d'épouser une catholique, avec le consentement de tous. De plus, le comportement français des trois fils lors des guerres fut exemplaire et honoré par de belles distinctions. Ce que Pétain n'avait pas remarqué...
Ce très beau livre, qui se lit comme un bon roman, fait du bien, dans nos époques de doute et de confusion. Émile fut un humaniste, comme ses actes l'ont prouvé. Il a, en dépit d'une vie parfois difficile, gardé son espoir en la capacité de l'homme à maîtriser son destin et à trouver dans le progrès un levier pour cela. Un véritable homme des lumières !
Eyrolles (2015), 317 pages