Passeurs et messagers, 1920-2023

La culture et l'art d'Asie ont eu une importance considérable en Europe à la fin du 19e siècle au point d'en retrouver des marques fortes dans l'expression de notre art, particulièrement en peinture, mais pas seulement. Mais cela restait le fait de quelques curieux et de collectionneurs, quand la grande majorité des citoyens ignorait à peu près tout du contenu de ces lointaines cultures, souvent déroutantes, car fondées sur des conventions, en particulier religieuses, fort éloignées des nôtres.
De grands musées de collectionneurs,  comme Guimet ou Cernuschi, ont ouvert leurs portes vers 1900, sans pour autant réussir à toucher le grand public, ni même une partie importante de la part la plus cultivée de ce public. La guerre ajouta ses contraintes et d'autres préoccupations dominaient.
Peu après la fin du conflit, une association proche du musée Guimet, l'AFAO (Association française des amis de l'Orient) décida de se constituer pour remédier à cette méconnaissance de l'Asie. Pendant plus de cent ans, elle maintiendra le cap, proposant visites, conférences, cours, voyages, expositions permanentes et temporaires, en un mot, tout ce qui pouvait permettre à chacun de se former une connaissance et peut-être une compréhension de ces lointaines cultures dont l'art, même incompris, est impressionnant en dépit de ses modes d'expression qui nous déroutent, mais dont la grandeur se pressent. C'est cette aventure que relate ce passionnant livre.

 

Le titre du livre évoque un partage, celui-là même que l'association veut établir, mettant au travail ceux qui savent pour le partager avec ceux qui ne savent pas et qui ont la curiosité ouverte. Professeurs, conservateurs, conférenciers, experts, mais aussi musiciens, conteurs, danseurs, écrivains, artistes divers vont alors remplir les salles de Guimet et le succès  a été considérable. Des voyages, audacieux parfois, vont être organisés et permettre, sous la conduite d'accompagnateurs de haute volée, de découvrir de visu la structure de ces civilisations et leurs œuvres. C'est tout cela que relate ce livre collectif, sous la plume de ceux qui ont fait ce magnifique travail qui se lit presque comme un roman, donnant d'ailleurs l'occasion de découvrir mille choses sur l'Asie, même pour ceux qui comme moi ont été membres de l'AFAO depuis une cinquantaine d'années.

Si la philosophie asiatique nous a appris quelque chose, c'est l'impermanence du monde et particulièrement des conditions d'exercice des désirs des hommes. L'AFAO n'échappe pas à cela. Ce qu'elle offrait d'exclusif est aujourd'hui beaucoup plus répandu. Elle s'en réjouit sans doute un peu, car cela prouve sa contribution à l'ouverture de la culture des Français au monde asiatique. Mais c'est aussi ce qui la prive maintenant de son originalité. De plus, les caisses un peu rudement sollicitées sonnent le creux. Enfin, le discours d'éducation de celui qui sait vers celui qui ne sait pas est presque devenu culturellement incorrect, puisque la nouvelle doxa du "tout se vaut" envahit nos esprits et nos cœurs, conduisant certains musées à ne plus oser affirmer qu'ils savent plus et mieux que leurs visiteurs.
Ainsi L'AFAO vient d'annoncer sa mise en veille en 2025. Elle peut être heureuse de ses accomplissements et peut-être, un jour, voudra-t-elle rebondir avec une offre différente ? Quoi qu'il en soit, le job est largement fait, bravo !

Magellan et Cie (2025), 272 pages