Ce remarquable roman, d'une parfaite dignité, tient son lecteur autant par le cœur que par l'esprit, sans chercher à l'étouffer par un excès inutile d'émotion spectaculaire. Deux personnages admirablement campés, aussi différents qu'on puisse l'être, sauront donner un sens à leurs vies et à celles de leurs proches dans l'Italie mussolinienne. Ils se seront aimés, sans vraiment se l'être avoué et sans désir exprimé, avec passion et détermination. Mais nul n'est à l'abri des séismes ! Ce roman, Goncourt 2023, m'a ému par sa sensibilité discrète, ses personnages touchants et crédibles, sa qualité d'écriture. Une belle histoire de vies, romanesque et chaleureuse.

 

 

Lorsqu'on commence à s'inquiéter pour l'avenir d'un personnage de roman, c'est que l'auteur a réussi à franchir la barrière mystérieuse du miroir des mots et des concepts pour aborder le réel. Nous ne lisons plus, nous participons par notre attente, notre émotion à une aventure qui devient la nôtre. C'est ici le cas et particulièrement avec le destin des deux acteurs principaux du récit, Mimo et Viola, exceptionnels l'un comme l'autre qui ont, en plus des affaires courantes, à assumer leurs qualités hors du commun, face aux certitudes de leur temps et de leurs classes.

 

Ce roman est aussi un hymne à la liberté profonde des êtres, incarné par Viola. La liberté est un concept-piège qui peut aller jusqu'à devenir une infamie quand il oublie l'intérêt collectif des autres pour n'exprimer que l'ego incontournable de celui qui le revendique ! Rien de tel ici, quand Viola, jeune aristocrate d'une intelligence et d'une mémoire supérieures, se heurte aux conventions de son époque troublée. Ses capacités de jugement et de décision impressionnent. Elles lui vaudront la solitude qui, quoi qu'on pense, ne convient guère aux humains.

 

La distance que le roman prend avec toutes choses, le bien ou le mal, l'amour ou la haine m'a également frappé. Il les dissout dans le calme et la beauté du monde de ses ciels, de ses forêts ou des œuvres des hommes. Il nous dit aussi que nul ne saurait s'affranchir du mal qu'il porte en soi, quels que soient ses capacités ou son souci du bien. Il faut avoir vécu pour accepter ce brouillard gris qui préside à nos actes, qui que nous soyons par ailleurs. Mimo ou Francesco nous le rappellent.

 

Un livre remarquable, qui, en nous parlant de l'Italie fasciste, nous parle surtout de ce que nous sommes et de ce que nous pourrions être.

 

L'Iconoclaste (2023), 545 pages