Une exposition des peintures de figures de Corot (1796-1875) au musée Marmottan, suivie de la lecture du très bon catalogue de l'exposition. a été pour moi l'occasion d'une découverte de ce peintre, trop vite classé au fond de notre mémoire en "paysagiste du 19e siècle". Or, il a été bien autre chose et m'a ébloui tant par son métier que par sa palette, ce dont je voudrais rendre compte ici aussi simplement que possible.
On ne peut, d'abord, qu'être frappé par la qualité de son travail, témoin de son métier. Par ses touches, sa manière de jouer sur les couches de matière pour révéler la couleur et la profondeur de son image, il sait faire vibrer ce qu'il peint : un vêtement, un objet, la chair de ses modèles. Prenez, par exemple, le temps de regarder attentivement le travail effectué sur la robe bleue ou l'épaule du Cat. 27. Rien n'est livré au hasard. Corot ne "drippe" pas ne joue pas au génie dont le moindre geste coloré vaut 100 ans de Smic. Il montre un immense métier de peintre au service d'un discours portant à la fois sur le sujet et, de plus en plus avec le temps, sur la peinture.
C'est d'ailleurs le second point à m'avoir frappé. Héritier de la tradition romantique, il est d'abord un peintre de la réalité. Mais on voit que cela ne l'a pas satisfait, qu'il prend peu à peu son indépendance et commence à jouir de la peinture pour elle-même. C'est le pari des impressionnistes qu'il annonce, sans d'ailleurs franchir le pas. Cette indépendance relative vis-à-vis du sujet se manifeste entre autre par des maladresses, qu'il aurait probablement pu éviter, dans sa représentation de l'espace, mais qui ne lui paraissent pas essentielles. On le constate, par exemple, à la forte distorsion de la perspective du Cat. 8, ou aux extensions des vêtements, prétextes à modulations de couleurs, des Cat. 3, 19, 20, 22, 36 entre autres. Le souci pictural l'emporte sur celui de la réalité. Cette rupture vis-à-vis de la tradition qu'il incarne et à laquelle il est pourtant attaché, me touche particulièrement et donne à Corot une fragilité sensible particulière. Le catalogue est à cet égard fort intéressant, pour bien comprendre cela.
Autre élément de séduction : son art immense de la couleur. Ses teintes sont souvent sombres, intenses et se détachent d'autant mieux qu'il les cerne souvent très légèrement, comme autant de mots qui ont leur vie propre avant de devenir éléments de phrases. Couleurs non seulement belles en elles-mêmes (Cat. 19 ou 30), mais aussi par leurs rapports (Cat. 20, 38 ou 43 et Fig. 13). Tout cela témoigne d'un travail et d'une expérience considérables, mises, évidemment, au service d'un vrai talent. Et cette juxtaposition de taches colorées au contour précis annonce le triomphe à venir de la peinture sur l'image de la réalité, ce qui sera le grand combat des impressionnistes. Mentionnons aussi au passage sa maîtise de la composition et de son équilibre.
Le catalogue, consacré à la figure chez Corot et à son rapport à ses modèles, est riche et informatif. Une légère insuffisance : une biographie de Corot, même sommaire, y aurait eu sa place. Les reproductions sont de bonne qualité et laissent à nos yeux le temps de revenir et apprécier cet art fragile et précieux, que l'impressionnisme allait emporter.
Hazan 2018, 190 pages