Cet essai, partiellement écrit en 1938 et 1939 puis complété en 1946, est un livre de référence sur la liberté et son usage en politique. Sa thèse est que les drames du 20e siècle sont les résultats d'expériences ratées de régulation centralisée des peuples, obtenues au mépris de la liberté des citoyens. Il montre pourquoi la régulation décentralisée a toujours conduit à de meilleurs résultats que l'organisation "scientifique" ou non, mais centralisée et montre que, sans en être toujours conscients, les socialismes de son époque, fondamentalement adeptes de régularisation et de centralisation ont été des chemins pavés de bonnes intentions, mais conduisant à l'enfer totalitaire.
Le livre résulte de l'inquiétude de l'auteur qui, au début de la guerre contre le national-socialisme allemand, craint que l'Angleterre suive un chemin analogue à celui de l'Allemagne, séduite par les "socialismes" ambiants. Il exprime aussi l'opinion que tout socialisme est d'origine culturelle allemande et, qu'à l'inverse, la culture libérale est dans le droit fil de notre héritage gréco-latin et que le libéralisme a mis au service de tous l'énergie des individus et leur créativité, mais leur a conféré l'illusion que leur pouvoir était infini.
Il procède tout au long de l'essai à une analyse approfondie de ce que nous entendons par socialisme et des comportements qui résultent de sa mise en oeuvre. Les idées de planification, organisation, régulation, collectivisme sont évidemment associées et affirmées par les zélateurs. Qu'elles conduisent à la dictature, la fin de la liberté et de la responsabilité, est aussi revendiqué par certains, surtout quand un idéal transcendant, comme la race, le prolétaire, Dieu ou la nation le réclame. L'histoire a montré que la crainte exprimée par Hayek n'est pas fantasmée. Pour lui, le socialisme, étape intermédiaire sur cette voie, en prépare la suite en opprimant la liberté et son foisonnement d'idées concurrentielles démocratiques, seuls remparts au totalitarisme.
Notons au passage que cela vaut aussi au plan économique, où tous les totalitarismes ont échoué. L'URSS n'est pas morte de ses idées sociales, mais de son effondrement économique. La Chine l'a compris qui, tout en maintenant un régime politique dictatorial, a conservé la concurrence et ses règles en économie. Rien n'a jamais su jusqu'ici remplacer la concurrence et le marché, sorte d'intelligence artificielle des mécanismes des échanges. Les socialismes d'après guerre semblent avoir compris la leçon et avoir oublié collectivisme et planification.
L'essai aborde aussi un autre aspect détestable de cette voie vers le totalitarisme et dont les exemples sont nombreux. La vérité n'a plus de sens ni sa recherche de vertu. Seul, l'accomplissement du dogme compte et l'on aboutit à la "science allemande" qui traite la relativité de science juive, ou à Lyssenko ou, encore de nos jours, au "créationnisme". Le sommeil de la raison engendre des monstres, dit-on. On conçoit facilement l'horreur éthique de ces socialismes totalitaires où l'intérêt de la collectivité à la poursuite d'un but unique prime sur les droits de l'homme et en particulier le respect de sa liberté, tout en l'exonérant de sa responsabilité. Servitude souvent consentie, car douce, la fameuse "servitude volontaire" de La Boétie.
Cet essai montre bien que le socialisme porte en lui un germe totalitaire. En revanche, il ne s'interroge pas sur ce qui a été la cause de ces socialismes ni sur l'insatisfaction créée par un libéralisme dur. Il évoque parfois le besoin de sécurité, sans en tirer les conséquences. Il est facile, 80 ans plus tard de dire cela, mais c'est quand même à mes yeux la faiblesse majeure de cet essai qui ne voit d'autre salut que dans le libéralisme dur. Nous savons tous le potentiel de développement et l'efficacité du libéralisme. Nous savons aussi qu'il engendre une société dure et inégale qui peut un jour exploser. Les essais de correction faits après-guerre, d'inspiration socialiste, ont tous conduit à une centralisation (plus de 50% du PIB dans les mains de l'Etat !). Et pourtant, tant que la concurrence démocratique fonctionne, ne serait-il pas excessif de prétendre que nous sommes sur la voie du totalitarisme ?
Ce livre, un peu daté, a cependant une très grande vertu, celle de nous rappeler le risque inhérent à la centralisation du pouvoir. Il nous rappelle en même temps la puissance économique et morale de la liberté. Un tel rappel est et restera certainement utile dans notre monde qui a si bien réussi à devenir prospère, mais où la vie sociale est un semi-échec, en dépit d'une concentration considérable de la richesse produite entre les mains des Etats. Un sujet politique qui restera longtemps objet de recherche...
Puf 1946 - 260 pages