perez diagonale fou

Comme le canon "Fanfan" qui tire un peu court, il manque à ce livre une issue crédible à son intrigue policière pour atteindre sa cible. Mais, quel voyage intime, vivant, dans le Cadix du début du 19e siècle, assiégé par les troupes de Napoléon !

Evacuons d'abord le point faible. APR nous met l'eau à la bouche, le sang, devrais-je dire, avec une série de meurtres qui paraissent liés aux canonnades des Français. Il n'en sortira pas (et nous non plus) sauf à se contenter d'une pirouette quasi new-age qui ne convaincra personne et laisse un sentiment de trou d'air dans l'imagination de l'auteur.

En revanche, le roman tient par plusieurs aspects remarquables. La marine, ici à voile, est un domaine dont APR sait parler en connaisseur et avec un effet de présence que chaque lecteur ressentira. La vie dans Cadix assiégée, son insouciance, réelle ou feinte, sa vie mondaine, ses rites sociaux et religieux, son économie, sont des sujets traités ici de manière passionnante. N'oublions pas non plus cette plongée dans l'existence peu avenante des troupes, plus ou moins mercenaires et prédatrices et dans les souffrances qu'elles subissent et font subir. J'espère aussi que vous vous réjouirez, comme moi, devant la passion du beau coup de notre capitaine d'artillerie français ! Sans trop partager les angoisses de notre policier espagnol, têtu et fantaisiste et quelque peu intellectuel.

Mais ce qui m'a particulièrement attaché ici est cette constante "fin d'une époque" qui traverse le roman, à l'image des "Buddenbrook" de Thomas Mann. Chacun des personnages se meut dans un monde qui se termine et en ressent l'effet dans sa vie, ses affaires, ses amours. La marine, la guerre, l'économie, le commerce, la vie sociale, le rôle des femmes, la police, les croyances, etc., tout cela est bouleversé et est bouleversant pour ceux qui le subissent. Ce roman se situe en effet au coeur de ce tsunami porté par les idées universalistes des "Lumières" (et les armes) de ce 18e siècle qui vient de se terminer.

Alors, même si, comme moi, vous trouvez ce roman parfois long, traînant, faseyant, devrais-je dire, ne le lâchez pas en route ; il vous récompensera.

Seuil (2011) - 766 pages