perez reverte hommes de bien
 
La parution de l'Encyclopédie française à la fin du 18e siècle a créé une rupture que l'on a du mal à saisir, car elle mettait en cause les références culturelles qui justifiaient l'organisation de la société et en particulier Dieu et la royauté. Une nouvelle "Bible" venait de s'écrire. Le roman est l'aventure de deux académiciens espagnols, plutôt sensibles à l'esprit des "lumières", mandatés pour acquérir un exemplaire original de l'Encyclopédie. Le livre est interdit en France, mais surtout en Espagne, qui est encore sous le contrôle de l'inquisition à la fin du 18e siècle. L'aventure que vont vivre ces "deux hommes de bien" est pleine de rebondissements. Mais la valeur du roman tient aussi à  sa peinture de la vie en Espagne et en France en ce temps là, faite avec intelligence et érudition.
 
 Sans doute cette époque fut-elle celle où pour la première fois, certains purent affirmer sans être rôtis que l'organisation du monde n'était pas immuable et que l'homme pouvait essayer de l'améliorer en faisant usage de sa raison. Il me semble aussi que ce fut l'époque où l'ordre rural inaltérable perdait de sa pertinence, ordre où toute valeur procède de la terre et de sa propriété. Cet ordre conserve encore dans nos lois des traces fortes, même si nous avons tous pu voir combien la création de valeur ne procède plus que très marginalement de la terre, mais beaucoup plus de l'industrie (et des services marchands). Industrie qui pour s'épanouir exige la liberté des hommes et leur adhésion au changement. Ce qui ne manque pas d'entrer en conflit avec l'ordre ancien...
 
 Nos deux académiciens vont en savoir quelque chose et leur voyage va être savoureux pour nous, lecteurs, mais semé d'embûches pour eux, à la quête du Graal encyclopédique dans une France prérévolutionnaire et mal dirigée. Les descriptions faites par l'auteur du Paris de cette époque et de sa population sont admirables d'érudition et de soin du détail. On se promène vraiment dans ces ruelles pas toujours très propres, les pieds dans la boue les jours de pluie, mais aussi dans ces palais d'un faste arrogant où règne encore une classe aristocratique, cousine de notre CGT actuelle, inconsciente du changement en cours, certaine du bien-fondé de son rôme et de ses droits acquis, mais au fond absente des lieux où se concoctait l'avenir. L'histoire, dit-on, bégaie... Il me semble, au passage, que la grande erreur de l'aristocratie française a été de ne pas comprendre qu'elle aurait pu garder une fonction sociale en prenant la tête de l'investissement et de l'industrie, ce qui lui aurait fait comprendre les valeurs en train de naître. La France fut particulièrement peu clairvoyante dans ce domaine.
 
Le roman est d'une lecture agréable, même si certains chapitres peuvent sembler un peu longs. L'intrigue ne coupera le souffle de personne, mais se tient bien. Ce qui me semble faire la valeur du livre est l'atmosphère, les descriptions des lieux et des situations et les portraits des personnages rencontrés. Un bien agréable moment de lecture.
 
Points P4750, 593 pages