L'auteur a été ambassadeur de France en Chine, en Allemagne et a été le représentant de la France auprès de L'UE. Or ces trois pôles ont été quelques-unes des forces majeures d'évolution de notre monde pendant les 50 dernières années. Avoir été non seulement bien informé, mais aussi acteur de ces évolutions a été le privilège de l'auteur, qui a eu l'heureuse initiative de prendre assez de notes pour pouvoir aujourd'hui rapporter tout cela. Le résultat est là. Nous retrouvons à chaque page des hommes, des événements dont nous avons eu à connaître, souvent sans bien les comprendre, ni non plus leur entrelacement avec le reste de l'histoire. Un fil apparaît, une logique s'installe, la force ou la faiblesse des hommes se révèle, leurs stratégies (ou leur absence) s'étalent devant nous. Une remarque, au passage : il est fascinant de constater combien ce sont les hommes et la qualité de leurs rapports qui construisent les chemins de l'histoire. Combien aussi, parfois leur ambition les dépasse et se termine en trou noir ou en mauvais rêve... Cette plongée intime et prolongée dans les relations franco-chinoises, pendant l'émergence de la Chine est incontestablement le point fort de ce livre.

 

 

La perte de présence de la France dans les affaires du monde trouve ici une part d'explication. On refuse souvent de le voir et surtout de le dire, mais si l'Allemagne, en Chine, a en quelques années multiplié par 5 ses ventes par rapport à la France, c'est simplement parce que ses produits sont meilleurs et ses chefs d'industrie plus compétents que les nôtres. Et non comme un résultat d'intrigues inavouables. Et, peut-être aussi parce que l'Allemagne ne confond pas diplomatie et leçons de morale. De plus, au contraire de notre pays, elle manifeste une ligne stratégique stable, quand la nôtre virevolte au gré de facteurs étrangers à nos intérêts (je pense à BHL ou Jane Birkin ! ). Tout cela pèse lourd quand les hommes n'ont pas la taille de leur emploi, se paient d'illusions idéalistes ou se trompent sur leur mission... Et combien il est souvent difficile à ceux qui, grâce à leurs contacts et leur travail, ont une opinion fondée de la faire triompher ! Ce qui chez l'auteur laissera un petit goût d'amertume.

 

 

On n'écrit pas ses mémoires sans faire un peu son propre portrait. L'homme non seulement connaît la Chine, mais il l'aime. Il l'explore et la visite comme une maîtresse, à la foi idéale et réelle. Il parle le mandarin, s'adapte aux langues locales, récite des poèmes, connaît la littérature et partage avec un plaisir évident la vie des Chinois de tous milieux. Le nombre de ses amis en Chine est impressionnant, sans oublier sa proximité avec ceux qui de Zhu En Lai à Xi Jiping en passant par Deng Xiao Ping ont fait l'histoire contemporaine. Cette immersion, presque éperdue dans une autre civilisation est admirable et touchante. Les rapports également intimes avec l'Allemagne sont profonds, mais n'atteignent pas cette intensité chinoise. Surtout, cette confiance que l'auteur a eue en lui pour construire son destin et faire des choix originaux est impressionnante. Confiance justifiée par les résultats, mais qui n'avait certainement pas la même évidence en début de carrière. Un homme de caractère !

 

Le récit véhicule aussi des milliers de morceaux de petite histoire qui en font un délicieux roman. On y rencontrera les caprices et les intuitions des hommes de pouvoir, leurs forces et leurs manques, leurs actes de fidélité ou leurs trahisons. L'univers du pouvoir politique est une arène cruelle. L'auteur laisse transparaître ses inclinaisons et ses rejets, que sa fonction ne lui permettait pas d'exprimer, mais qu'il peut, aujourd'hui laisser entendre. Les anecdotes foisonnent pour notre grand plaisir.

 

 

Il se dégage enfin du livre une haute vision de la diplomatie fondée sur l'expérience de l'auteur et sa connaissance de l'histoire. Qu'elle ne soit pas connue de tous ceux qui en ont la responsabilité est hélas patent chez ceux qui veulent en faire un véhicule d'assaut de notre civilisation ! Non, les droits de l'homme ou la démocratie, par exemple, n'ont rien d'universel, hélas. Les brandir comme un glaive nous aura privés du respect de ceux qui comme les Chinois ont Confucius et le Taoïsme en référence. Oublier nos intérêts, comme ce fut souvent le cas,  au nom de ces principes idéologiques, nous aura fait beaucoup de mal. Lisez ce livre et vous comprendrez combien une vision plus respectueuse des autres, plus pondérée, moins absolue et guerrière de l'action internationale, mais soucieuse de nos intérêts, pourrait travailler à notre épanouissement, à la paix en général et à notre poids dans les affaires du monde.

 

Un livre exceptionnel d'intelligence et de lucidité.

 

L'aube (2018), 946 pages