Cette biographie est, pour une large part, un prétexte de l'auteur pour expliquer (et lui rendre sa dignité ?) son attitude ambigüe face au nazisme. Il trouve en Montaigne un frère en le faisant passer pour un philosophe du désengagement, du repli sur soi, ce qu'il n'est pas. En dépit de son retrait, Montaigne aura su prêter son temps et son âme à la réconciliation de la France quand l'urgence le demandait. SZ aura lui, découragé, choisi le suicide. Il n'en reste pas moins que la question de la liberté intérieure de chacun face à l'incendie toujours menaçant de l'opinion publique est essentielle et que ce livre la pose avec la sincérité d'un homme en détresse.
Le premier chapitre est une apologie du retour sur soi, du retrait, de la distance, tels que Montaigne les avait pratiqués pour écrire les Essais. Certes, mais il ne dit rien des autres impératifs auxquels Montaigne accordait ses actes, comme son aspiration à la reconnaissance, ou son sens du devoir. Il insiste cependant sur une vertu partagée par d'autres "sages", qui est de garder une distance suffisante et une capacité de jugement personnel vis-à-vis des passions du monde. On ne peut que partager la valeur de cette vertu, mais on ne peut aussi que constater combien sa pratique est difficile et donc rare !
Le reste du livre est une biographie plus traditionnelle, où l'on ressent le souci de SZ d'en faire le support de sa vision, à mes yeux, partielle, de la philosophie de Montaigne. SZ écrit ici une transposition de sa propre vie, plutôt qu'une description fidèle de celle de Montaigne. On peut comprendre sa détresse et son désir de ne pas paraître faible et pusillanime face au nazisme, quand on sait qu'il se suicidera quelques mois après avoir écrit son "Montaigne". On retrouve, bien entendu, le sens du récit bien construit qui anime toujours la prose de SZ et qui rend sa lecture si agréable.
Il n'en reste pas moins que la question posée de la liberté intérieure est grave, particulièrement dans les époques critiques et déréglées de l'histoire qu'ont connus aussi bien l'auteur que Montaigne. Il me semble que nous ferions aujourd'hui un bel usage de cette vertu de liberté de jugement face à l'hystérie écologiste qui s'empare de nos sociétés. Affirmation de "vérités scientifiques" dont la preuve n'est pas faite (rôle déterminant du CO² anthropique), focalisation sur un sujet écologique et oubli des autres, irruption d'une morale aux relents totalitaires, dérive de la raison face à l'emploi des ressources économiques au nom de cette morale, exploitation d'une enfant autiste comme prophète, voici quelques exemples inquiétants de cette passion publique que les réseaux dits sociaux transforment en tsunami planétaire et qu'on ne peut qualifier que de nouvelle religion. Et comme toute religion qui pense détenir une vérité qui sauvera le monde, comme celles que le 20e siècle a connues, elle porte en elle une violence, une intolérance et un absolutisme dangereux, qui ne souffrent aucune laïcité.
Relisons donc Montaigne, mais dans le texte, et conservons notre jugement face à ces excès. SZ avait su trouver en Montaigne un ami dans sa détresse qu'il ne dominait plus. Faisons-en nous aussi un appui pour cheminer dans un monde dont les dieux sont morts, mais manquent et dont les fantasmes de substitution, qu'ils soient la race, le prolétaire ou l'écoidéologie actuelle sont des impasses.
Le livre de poche (35297), 139 pages