Ce récit est sans doute un des plus beaux et des plus forts qui me soit tombé sous la main depuis longtemps. J'en sors à la fois ébloui par la sensibilité exceptionnelle de SZ, ému par son parcours, mais encore plus conscient que tout, tout peut arriver, aujourd'hui comme hier.
Le premier chapitre vaut à lui seul la lecture du livre. Il décrit la vie de Vienne en 1900, mais on pourrait croire y lire une description de notre vie d'aujourd'hui : notre science, notre culture, nos institutions, notre humanisme (si admirable ! ), tout nous confère le droit et l'espoir de vivre en sécurité et en paix. Et encore, notre Cinquième République n'a pas les "mille" ans de l'Empire Austro-Hongrois, et notre pauvre institution européenne encore moins ! "C'était l'âge d'or de la sécurité" écrit SZ au sujet des années 1900. Quelques années plus tard l'Empire, mais aussi l'Europe se suicidait. Aveuglement, tant des responsables politiques que des intellectuels qui, au contraire vivaient une époque de création exceptionnelle et avaient de l'avenir une vue brillante. Ils oubliaient seulement d'ouvrir les yeux sur la montée en puissance de l'Allemagne qui allait en devenir folle.
Le livre commence avec la jeunesse de SZ à Vienne et l'enthousiasme que la situation culturelle viennoise provoquait, en rupture totale avec le 19ème s. Un "art de jeunes gens" dit-il. Il reconnaîtra plus loin qu'il y avait là un signe dont le sens était alors difficile à percevoir, mais qui signifiait plus une fin qu'un début. Il aura été ivre de liberté ; elle était neuve. Il fallait autre chose, à côté et ensemble, pour faire une société lucide.
SZ donnera toujours une valeur très haute au maintien de sa propre liberté intérieure, tant vis à vis des hommes que des idées. Sa relation avec R. Strauss lui donnera bien du souci. Il refusera aussi de s'engager dans le sionisme.
Cette liberté est un ingrédient majeur de sa fonction artistique. Il voyagera plus que bien des contemporains et retirera de ces voyages et des contacts considérables qu'il a avec les hommes importants du monde européen (et peu anglo-saxon) un recul et une lucidité de premier plan. Son contact amical avec Freud, par exemple lui fera comprendre qu'une forme destructrice du mal réside en nous, qu'il n'y a pas de lendemains qui chantent et que la vie est un équilibre sans cesse menacé entre la raison et ces forces obscures qui doivent être canalisées et parfois même mises sous silence. A titre personnel je note au passage que l'explosion de violence, la destruction des corps et le sang que les spectacles actuels nous proposent relèvent de la même inconscience de notre fragilité en sollicitant les mêmes zones sensibles que celles qui ont fait le succès de Hitler. Est-ce une nostalgie, un appel ? On peut le craindre.
Il écrit aussi "Longtemps, cette éducation au provisoire que je me donnais me parut une faute, mais plus tard, ... ce sentiment mystérieux qui m'empêchait de m'attacher m'est devenu un secours." Presque une profession de foi bouddhiste ?
SZ était un européen convaincu, avant 1914. "Nous étions persuadés que la force spirituelle, morale de l'Europe s'affirmerait triomphalement au dernier instant critique". Nous aussi, n'est-ce pas ? La guerre de 1914 a eu lieu, pleine encore de l'illusion qu'un monde juste en sortirait et que la guerre était une "honte". 39 a donné le coup de grâce. Il y avait eu entre-temps la terrible hyper-inflation et la dépression qui avaient détruit ce qui restait de valeurs en justifiant les plus fauves par leur succès. "Rien n'a rendu plus mûr le peuple allemand pour le régime de Hitler comme l'inflation".
Il montre aussi que, dans l'entre deux guerres, et c'est essentiel, non seulement l'esprit des hommes dérivait, mais que cette situation était exploitée par les forces riches et bien-pensantes de l'Allemagne, espérant ramener l'"ordre". L'argent coulait à flot vers Hitler. Au fait, que serait l'islamisme sans l'argent saoudien ?
Il n'est pas possible de dire ici tout ce que contient ce superbe livre. Il faut surtout retenir, me semble-t-il, la fragilité de notre pensée, de notre culture et de nos institutions devant des événements aussi graves que ceux qui ont fait de l'Europe l'avorton qu'elle est devenue et qu'elle restera sans doute. Nous sommes probablement encore moins préparés à les affronter que ne l'était l'Europe du 20ème s. Vigilance, vigilance ! Nous n'avons que les droits que nous saurons défendre, si encore nous en avons envie.
Il faut lire ce livre.
Le premier chapitre vaut à lui seul la lecture du livre. Il décrit la vie de Vienne en 1900, mais on pourrait croire y lire une description de notre vie d'aujourd'hui : notre science, notre culture, nos institutions, notre humanisme (si admirable ! ), tout nous confère le droit et l'espoir de vivre en sécurité et en paix. Et encore, notre Cinquième République n'a pas les "mille" ans de l'Empire Austro-Hongrois, et notre pauvre institution européenne encore moins ! "C'était l'âge d'or de la sécurité" écrit SZ au sujet des années 1900. Quelques années plus tard l'Empire, mais aussi l'Europe se suicidait. Aveuglement, tant des responsables politiques que des intellectuels qui, au contraire vivaient une époque de création exceptionnelle et avaient de l'avenir une vue brillante. Ils oubliaient seulement d'ouvrir les yeux sur la montée en puissance de l'Allemagne qui allait en devenir folle.
Le livre commence avec la jeunesse de SZ à Vienne et l'enthousiasme que la situation culturelle viennoise provoquait, en rupture totale avec le 19ème s. Un "art de jeunes gens" dit-il. Il reconnaîtra plus loin qu'il y avait là un signe dont le sens était alors difficile à percevoir, mais qui signifiait plus une fin qu'un début. Il aura été ivre de liberté ; elle était neuve. Il fallait autre chose, à côté et ensemble, pour faire une société lucide.
SZ donnera toujours une valeur très haute au maintien de sa propre liberté intérieure, tant vis à vis des hommes que des idées. Sa relation avec R. Strauss lui donnera bien du souci. Il refusera aussi de s'engager dans le sionisme.
Cette liberté est un ingrédient majeur de sa fonction artistique. Il voyagera plus que bien des contemporains et retirera de ces voyages et des contacts considérables qu'il a avec les hommes importants du monde européen (et peu anglo-saxon) un recul et une lucidité de premier plan. Son contact amical avec Freud, par exemple lui fera comprendre qu'une forme destructrice du mal réside en nous, qu'il n'y a pas de lendemains qui chantent et que la vie est un équilibre sans cesse menacé entre la raison et ces forces obscures qui doivent être canalisées et parfois même mises sous silence. A titre personnel je note au passage que l'explosion de violence, la destruction des corps et le sang que les spectacles actuels nous proposent relèvent de la même inconscience de notre fragilité en sollicitant les mêmes zones sensibles que celles qui ont fait le succès de Hitler. Est-ce une nostalgie, un appel ? On peut le craindre.
Il écrit aussi "Longtemps, cette éducation au provisoire que je me donnais me parut une faute, mais plus tard, ... ce sentiment mystérieux qui m'empêchait de m'attacher m'est devenu un secours." Presque une profession de foi bouddhiste ?
SZ était un européen convaincu, avant 1914. "Nous étions persuadés que la force spirituelle, morale de l'Europe s'affirmerait triomphalement au dernier instant critique". Nous aussi, n'est-ce pas ? La guerre de 1914 a eu lieu, pleine encore de l'illusion qu'un monde juste en sortirait et que la guerre était une "honte". 39 a donné le coup de grâce. Il y avait eu entre-temps la terrible hyper-inflation et la dépression qui avaient détruit ce qui restait de valeurs en justifiant les plus fauves par leur succès. "Rien n'a rendu plus mûr le peuple allemand pour le régime de Hitler comme l'inflation".
Il montre aussi que, dans l'entre deux guerres, et c'est essentiel, non seulement l'esprit des hommes dérivait, mais que cette situation était exploitée par les forces riches et bien-pensantes de l'Allemagne, espérant ramener l'"ordre". L'argent coulait à flot vers Hitler. Au fait, que serait l'islamisme sans l'argent saoudien ?
Il n'est pas possible de dire ici tout ce que contient ce superbe livre. Il faut surtout retenir, me semble-t-il, la fragilité de notre pensée, de notre culture et de nos institutions devant des événements aussi graves que ceux qui ont fait de l'Europe l'avorton qu'elle est devenue et qu'elle restera sans doute. Nous sommes probablement encore moins préparés à les affronter que ne l'était l'Europe du 20ème s. Vigilance, vigilance ! Nous n'avons que les droits que nous saurons défendre, si encore nous en avons envie.
Il faut lire ce livre.
Editions Le livre de Poche 14040 (1993) - 507 pages