zweig conscience violence

 

"Avec le temps, la vie s'avère toujours plus forte qu'une doctrine abstraite", nous dit SZ en 1936, face à la montée du national-socialisme totalitaire. Et, quand ici il dit "la vie", c'est à son ingrédient majeur, la liberté de penser, qu'il fait allusion en l'illustrant par la lutte à mort menée par Calvin contre ses contradicteurs.

En effet, il n'y a pas, à ses yeux, de vie bonne sans liberté de penser et liberté de le dire et de l'écrire. Il y voit la dignité de l'homme autant que la condition de son progrès et de son épanouissement. Aucune doctrine, politique, scientifique, religieuse ou autre n'a de valeur absolue ni ne peut ni ne doit, s'exempter du questionnement sur sa validité. Les scientifiques le savent, qui en ont fait leur outil et leur marque distinctive. Les autres en sont loin et lorsqu'ils veulent affirmer la prééminence de leur doctrine, toujours fragile intellectuellement, c'est par le recours à la violence et à la terreur qu'ils peuvent seulement le faire.

C'est bien ce que ce livre nous montre, dans le cas de Genève et de Calvin, au milieu du 16e siècle. En exploitant la peur et la lassitude des hommes (les guerres de religion étaient à leur paroxysme), Calvin prend un contrôle tyrannique et absolu de la ville. Il y règne, au nom de sa vision de son Dieu, par la terreur et avec des méthodes qui, aujourd'hui, relèveraient de crimes contre l'humanité.

Un homme, sans doute illuminé et excessif (mais Calvin ne l'était-il pas autant ? ), Michel Servet, lance une thèse théologique, qui s'oppose à l'interprétation du tyran. Il sera conduit par Calvin sur le bûcher pour ses idées.

Devant cet acte, un professeur de Bâle, Sébastien Castellion (1515-1563), n'utilisant que les armes de l'esprit et de la discussion, fait remontrance à Calvin. "Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme" dira-t-il, avec noblesse. Phrase immortelle, signature de ce que l'humanisme a de plus grand.

Ceci est inacceptable pour le dictateur de Genève. Il n'aura de cesse que Sébastien Castellion ne soit accusé d'hérésie et conduit à son tour au bûcher. Il y échappera par sa mort prématurée pour raison de santé.

Ce livre est admirable, d'abord parce que seule, une grande conscience comme SZ pouvait rappeler ce que Calvin a réellement été, dans son mépris de la vie et en particulier des hommes, vice intrinsèque de nos religions, qu'il a porté à incandescence.

Mais il l'est surtout parce que, sans aucune place pour le doute, il rend à la liberté de pensée son rôle éminent, prééminent. L'homme n'est que l'homme. Il est faillible et il n'y a qu'un autre homme pour le dire ; encore faut-il qu'il le puisse, sans y risquer sa vie. Les doctrines rédemptrices ne manquent pas : communisme, fascisme, nazisme, islamisme et autres intégrismes nous menacent encore, comme, aujourd'hui, l'écologisme dogmatique des bobos que nous sommes. N'oublions pas, au passage, un autre ennemi de la liberté que nous n'avons pas inventé, mais que nous ne savons pas combattre : la misère de toute une partie du monde.

Monsieur Zweig, il reste encore beaucoup à faire.

 

Le Castor Astral (2008) - 205 pages