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Voici une magnifique synthèse de l’œuvre écrite de Churchill, qui était autant écrivain que chef d’État. Ce livre de poche en deux tomes est à la fois une biographie partielle, une histoire de la seconde guerre mondiale et avant tout pour moi, une occasion exceptionnelle de partager les affres de la décision stratégique dans des circonstances où la survie non seulement de la nation britannique, mais aussi de la culture occidentale était en cause, face à la puissance bien armée de la dictature nazie. Et, pour confirmer que les leçons de l'histoire sont difficiles à mémoriser, la victoire sur les nazis fut le moyen pour une autre dictature de s'imposer, pire que la précédente, car elle ne semblait pas incarner le mal, le totalitarisme communiste. Churchill l'avait clairement pressenti.
 
Il me paraît équitable de commencer par rendre hommage au travail du compilateur, François Kersaudy. Non seulement il sait aller à l'essentiel dans une œuvre considérable, mais il assemble les morceaux extraits à la manière d'un roman , ce qui rend la lecture agréable et facile. Comme il le précise en préambule, les textes sont bien ceux de Churchill, mais choisis pour leur pertinence face à l'Histoire. De plus, il n'hésite pas à commenter avec humour certaines affirmations un peu rapides de Churchill... Il ajoute aussi une cartographie extrêmement utile pour comprendre les étapes d'un récit compliqué et volatile. On se représente bien le travail que tout cela a représenté pour notre confort de lecture et il me semblait bon de le souligner.
 
Quelle leçon d'histoire ! Un pays seul, mal armé, car dévoré par l'illusion socialiste du pacifisme militant, va se trouver face à une Allemagne devenue en moins de 10 ans une boule agressive de canons, de tanks,  de chasseurs aériens, de sous-marins et de cuirassés, dévorée par l'ambition de se prendre pour la "race élue" destinée à dominer le monde. La Grande-Bretagne devra sa survie au début du conflit à deux faits : sa tradition navale que le pacifisme n'avait pas réussi à faire rouiller et son insularité. Churchill savait et dénonçait avant-guerre les dangers que cet irénisme pacifiste faisait courir à la Grande-Bretagne. Il eut le bonheur, pour sa patrie et pour nous, de prendre la tête de son pays et d'y insuffler par son charisme le courage de ne pas céder, quand la menace était à son comble.
 
C'est donc tout d'abord une leçon d'organisation du sursaut qu'il convient d'apprécier, tant sur le fond que sur la forme. Mettre le pays face à son devoir, lui communiquer l'espoir, le mettre au travail et lui faire accepter les sacrifices inévitables, tout cela fut fait et vite. En même temps, Churchill sut provoquer l'ambition de ses compatriotes et affirmer que le combat avait un but élevé, celui de sauver le mode d'existence des démocraties occidentales, menacé. Mais jamais, il ne cessa d'être un démocrate. Il organisa un pouvoir aux décisions rapides, qui ne négligeait pas des consultations incessantes avec tous les représentants des forces politiques de sa nation, sans exclure ceux qui avaient préparé cette terrible situation par leur incompétence ou leur aveuglement. De plus, il sut mettre en route, non sans mal, une coalition internationale qui permit de mettre un terme au conflit. Qui pouvait penser qu'il réussirait, quand l'Italie, puis l'URSS se jetaient dans les bras d'Hitler ? Lui et lui seul à cette époque. Alors, quand des critiques en chambre climatisée se gaussent de son incompétence stratégique (j'étais un peu hérissé ces jours derniers d'août 2018 en entendant cela sur France-Culture...), je crois qu'il y a des égos qui feraient bien de se taire. Certes, il rêvait un peu parfois. Mais il eut un souffle qui réveilla sa nation et il sut écouter les conseils et les prendre en compte pour bâtir ses décisions. Rien d'un dictateur !
 
Mais ce qui m'a intéressé au plus haut point dans cet ouvrage a été la présentation au lecteur des choix stratégiques complexes qu'il fallait traiter, jour après jour, devant la situation largement dominée par l'ennemi au début du conflit. Les hommes meurent, les navires sont coulés, les avions de guerre abattus et il faut continuer, non pour vaincre demain, mais pour s'y préparer dans un an, ou deux ou trois... ou plus. Où sont les ressources ? Comment en disposer ? Qui peut le faire ? Où faut-il le faire ? Quels investissements sont prioritaires ? Et avec l'argent de qui ? Qui doit être sacrifié dans ces choix ? Comment jouer avec le temps ? Mille questions auxquelles s'ajoutent les décisions proprement militaires d'usage des armes, généralement plus tactiques. Pour être dénoué, cet écheveau enchevêtré nécessitait un homme qui dormait, conservait une quiétude de bon aloi et savait s'entourer. Ce livre nous expose le contenu de ces choix et nous fait partager la genèse des solutions retenues, ce qui est inestimable et est, pour moi, la richesse première du livre.
 
Tout cela est écrit avec talent, humour et bonheur. Au cœur du drame, Churchill ne se départit jamais de son style un peu distancié, sans passion ni haine, mais avec des idées claires et la volonté de les transformer en actes pour le bien commun. Magnifique leçon pour qui, comme moi, doute de la compétence et du caractère des hommes que la démocratie actuelle envoie au pouvoir. Certes, les circonstances ne sont pas les mêmes. Mais le sentiment que la conjoncture est le guide suprême de l'action de nos dirigeants actuels (et je n'exclue pas la France) me fait redouter des lendemains pleins de sueur et de larmes...
 
Un seul bémol à ce plaidoyer : l'indifférence manifestée au prix de la vie humaine. Tel général attaque ; il échoue et perd 10000 hommes. Dommage. Il va falloir recommencer... Cette phrase, cent fois répétée sous des formes diverses, fait froid dans le dos. Peut-il en être autrement ? J'ignore, mais, sans aucun doute, je n'ai pas la fibre d'un chef de guerre !
 
Tallandier "Texto" (2010) 668 et 967 pages