bernieres_mandoline

 

Un des plus beaux livres que je connaisse pour nous parler, sans emphase, de ce feu de violence qui complète et combat, au fond de nous, compassion et amour. Et, ce qui nous est raconté avec tant de simplicité et de précision, voire même de douceur, devient évidence et réalité. Nous sommes en Céphalonie en 1940 et la guerre est ouverte, comme la porte qui nous préserve en temps de paix de l'insanité et de la cruauté des hommes normaux.



Le premier contact avec ce livre fort bien traduit fait découvrir un style foisonnant de détails justes. Un homme prend un enfant sur ses genoux ; on sait où sont ses mains, où va son regard, où il est assis, comment il tient l'enfant et vers quoi se tourne le visage de l'enfant. Chacun de ces détails peut ne pas être chargé de sens, mais leur présence simultanée nous environne et donne aux événements une présence et une réalité incontournable. Et, lorsque les choses évoluent, nous sommes partie prenante aux joies et aux peines des personnages. Attendez-vous à être ému, heureux, blessé, porté par une langue douce et simple.

Le livre raconte la terrible histoire de l'île grecque de Céphalonie au cours de la guerre de 1940. Jugée assez stratégique pour intéresser les uns et les autres, elle ne le fut pas assez, néanmoins, pour être protégée. Italiens, Allemands s'y accrochent, qui, après avoir été alliés s'y combattent. Impossible alors pour un autochtone de ne pas avoir été un traître à l'un où à l'autre et donc digne de la peine de mort. Mais le pire est à venir : d'abord un tremblement de terre effroyable, puis, sur les ruines de tout cela une tyrannie sanglante exercée par un groupe de "communistes", admirateurs des méthodes nazies et qui avaient vécu planqués pendant les autres combats. Ils devront, à leur tour, être éliminés pour ramener la paix.

L'intrigue est bâtie autour d'une famille grecque qui ne passera pas ces écueils sans y laisser, qui son coeur, qui son corps. Cette famille, au début sous l'occupation des troupes italiennes plutôt faciles à vivre, verra peu à peu l'orage d'inhumanité monter, totalement démunie pour s'en protéger. Cette familiarité, que l'écriture de LdB nous permet d'avoir avec eux, est un enchantement qui nous laisse ressentir que ce qui fait l'identité d'un groupe humain peut ne pas être ce qui le sépare d'un autre. Sauf si l'idéologie devient totalitaire, inhumaine et ne laisse plus aucune place à une distance respectueuse, mais pacifique entre les hommes et leurs valeurs. Ni les nazis, ni les communistes, ni le tremblement de terre n'étaient humains et les Céphaloniens se seraient sans doute contentés du tremblement de terre qui, lui, n'était pas un choix des hommes !

En dépit de cela, ce livre est un roman qui ne se veut pas désespéré. Les débordements de la vie peuvent aussi charrier un limon fertile où poussera demain un arbre magnifique. Est-ce un mirage ? Faut-il y croire ? Question d'âge, peut-être et d'expérience. Après tout et malgré les immenses vicissitudes du monde, nous sommes encore là pour contempler la beauté indestructible de la nature et pour être, parfois, heureux.

Folio 3148 (1994) - 693 pages