vedrine rebours
 
Hubert Védrine, dont l'expérience internationale est incontestable, me semble sincère et pondéré quand il s'exprime et c'est pourquoi je suis toujours attentif à ses propos sur la situation mondiale. Ceux-ci tranchent sur les "Y a qu'à" idéologiques ou simplistes qui pullulent, souvent relayés par une presse irresponsable et envahissante. Un petit manque quand même : il y a loin de l'objectif, l'objet du livre, à la stratégie qui est l'art d'y conduire. Là, je reste sur ma faim... Par ailleurs, il n'y a plus, semble-t-il, de relais politique crédible pour  concevoir cette stratégie et en  assurer la réalisation. Comme le dit HV, l'invasion de la démocratie directe, par nature court-termiste, risque fort de laisser cette question sans réponse. Peut-être est-ce là notre pire faiblesse, l'impuissance politique de notre actuel système démocratique représentatif.
 
HV assigne à nos sociétés trois objectifs simultanés, pour lesquels le compte à rebours a commencé. Un objectif écologique (notre modèle économique occidental a atteint ses limites et ne peut pas servir de modèle au reste du monde), un objectif démographique (la croissance démographique de l'Asie et de l'Afrique ferme à l'occident tout espoir de reprendre un leadership mondial et suscite une crainte) et un objectif de maîtrise du numérique ( l'Europe en est pratiquement absente, malgré certains propos lénifiants). Nos (France et Europe) atouts devant ces enjeux, sans être inexistants, sont modestes. Il est peu probable que nous sachions les valoriser face aux obstacles qui nous attendent, dont certains sont d'ailleurs de notre fait.
 
En effet, la liste de ces obstacles est longue. Présentons-en quelques-uns. La démocratie représentative ne fonctionne plus face aux exigences de la "démocratie" directe ; qui aura alors la force de faire les choix et de les mettre en œuvre ? L'Europe a été conçue comme vassale de la puissance américaine ; le retrait américain actuel laisse un vide et il est peu vraisemblable que l'Europe vieillissante se donne la mission d'être une puissance indépendante, économique et militaire. L'écologie politique est un échec ; face aux lobbys, qui aura le pouvoir d'écologiser notre économie ? La mondialisation existe et n'est pas une alternative ; nous avons eu l'honneur d'y contribuer et de sortir une partie de l'Asie du moyen-âge, mais nous n'avons pas eu l'intelligence stratégique et diplomatique suffisante pour y défendre nos intérêts. Nous sommes englués dans une moralisation larmoyante des méfaits de nos ancêtres qui nous paralyse ; qui, dans ces conditions, possède encore la force morale nécessaire pour agir et entraîner ? Nous avons le culte des minorités de toutes espèces ; mais qui prend soin de l'intérêt général ? Nous accueillons, presque sans réagir, les guerres de religion sur notre territoire ; qui a encore la légitimité pour dire où est le bien public face à cette revendication du surnaturel ? Voilà certains des sujets abordés par le livre. Les réponses semblent peu assurées et l'opinion publique est consciente que la démocratie représentative actuelle n'a pas (n'a plus) le ressort pour les préciser ni pour les mettre en œuvre. Le panorama est sombre.
 
Ce livre propose une synthèse de ces points sur les 40 premières pages et les autres sont des reprises de textes de HV, déjà parus, qui éclairent ou approfondissent ladite synthèse. Un livre de réflexion utile, porteur d'une grande inquiétude, qui appelle une réponse du monde politique. Viendra-t-elle ?
 
Fayard (2018), 351 pages