mounk peuple democratie
 
Cet essai politique aborde un fait majeur de notre temps, la montée des populismes dans le monde entier, y compris là où nous nous accordions tous à penser que la démocratie libérale (DL) était enracinée pour toujours. On oublie facilement que l'Histoire n'a connu que des démocraties mortelles (Athènes, Rome, Venise, etc.). La nôtre l'est-elle aussi ? Vaste débat, mené de manière passionnante par l'auteur, professeur de "théorie politique" à Harvard et qui recherche ici les causes et les remèdes de ce virus de la DL.
 
Précisons d'abord l'enjeu. Notre régime politique "occidental", la DL, est l'association équilibrée de deux caractéristiques indissociables : le pouvoir donné au peuple (démocratie) et le respect des droits et libertés des individus (libéralisme), l'une et l'autre opératoires à travers des institutions garanties par une constitution. Ce qui se passe aujourd'hui est que l'équilibre entre ces deux pieds est remis en cause. L'Europe, par exemple, est un libéralisme sans démocratie. Le populisme, quant à lui, affirme que la DL ne représente plus le peuple à qui il faut rendre la parole à tout prix. L'Histoire montre que les tribuns arrivés au pouvoir ont vite fait de sacrifier les droits et libertés (le libéralisme) pour être efficaces sans délai et qu'à ce jeu, le peuple se retrouve bâillonné. La démocratie, prétexte initial, devient rapidement un souvenir pour laisser place à un régime autoritaire, voire totalitaire. Les exemples actuels, comme ceux de la Turquie, de la Russie, de la Hongrie ou de la Pologne, voire des USA de Trump, sont bien là,  à des stades divers d'avancement,  pour nous rappeler que la menace est réelle. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
 
L'auteur voit trois causes historiques qui ont assuré le triomphe de la DL, causes qui, simultanément ont faibli ou même disparu de nos jours : l'extraordinaire croissance économique d'après-guerre, la suprématie dans toutes les DL d'une ethnie majoritaire, la canalisation de l'information par une élite. Or aujourd'hui la croissance est plate, le multiethnisme est la règle et les réseaux sociaux sont le règne du n'importe quoi par n'importe qui. De plus n'existe aucun indice qui permettrait de croire ni d'espérer que cette situation nouvelle peut changer. Alors ?
 
Alors, l'auteur propose de faire de la résistance et d'affirmer que la démocratie libérale est le moins mauvais système politique, comme le proclamait Churchill. Il propose aussi une série de mesures, comme l'éducation, pour élever la capacité de choisir des citoyens, devenus bien négligents et un peu simplistes en matière de politique. Il est en effet essentiel de garder la tête froide face aux informations livrées par les tribuns et, hélas, par la majorité des médias, obsédés par la détection véhémente des faiblesses de la DL, sans en rappeler les vertus.
 
Il met aussi le doigt sur un problème grave, la domination de l'action politique par l'économie et par les élites en train de se constituer en classe. Même si globalement le niveau de vie a considérablement augmenté dans le monde, ce succès est totalement oblitéré par l'inégalité rapidement croissante des revenus et du patrimoine. La DL en est ainsi déconsidérée : cette accumulation de richesse dans une classe montre bien le déficit démocratique de ce que nous en avons fait. Y a-t-il un remède ? L'auteur reste là-dessus un peu court et, pour ma part, me laisse perplexe.
 
Perplexe, en effet, devant un ensemble de propositions, certes de bon sens, mais sans percée politique mobilisatrice. Qui peut espérer qu'un retour vers un régime qui montre ses faiblesses va suffire ? Ce régime s'est épanoui en même temps que la prospérité, ce qui d'ailleurs ne signifie pas qu'il y ait causalité (voir la Chine !), mais il n'a pas apporté la paix, contrairement aux affirmations étranges de l'auteur. Aujourd'hui, face à la folle demande de démocratie directe, a-t-il les moyens de proposer une voie politique crédible qui puisse canaliser cette attente et la rendre moins dangereuse ? Qu'a-t-il fait et que peut-il faire pour retrouver une égalité acceptable ? Quel pouvoir a-t-il, quand la moindre modification du statu quo enflamme le peuple qui y détecte un complot ? Quelle valeur possède encore la représentativité des élus ? L'orage gronde et c'est peu dire que les initiatives politiques pour y faire face ne sont pas nombreuses. Oui, je suis inquiet et si ce livre met avec pertinence le doigt sur l'analyse de notre désamour pour la DL, y placer notre seul espoir de rédemption ne me convainc pas.
 
L'OBSERVATOIRE (2018) - 528 pages