Si ce roman de MoYan est le premier de lui qu'on lit, on découvrira avec plaisir son talent : placer dans le monde réel de la Chine rurale actuelle une aventure farfelue, surnaturelle, qui fait quitter terre au lecteur. Peut-on rêver d'un meilleur guide pour une visite privée de ce monde chinois sans pitié, ni très soucieux d'éthique au sens où nous l'entendons ? Mais si Mo Yan n'est pas un inconnu pour le lecteur, ce livre, un peu long, aura souvent un goût de déjà lu...
L'histoire est celle d'un très jeune garçon d'un village de bouchers qui n'a, comme seule ambition que celle de manger de la viande. Pourquoi pas ... L'intérêt, a priori mince, de cette passion est que son exercice met en oeuvre tous les rouages de cette société rurale chinoise. Il faut trouver du bétail, l'abattre, le traiter, le vendre et gagner sa vie. Chez Mo Yan tous les coups sont permis pour réussir, y compris les moins avouables.Tricher, voler, mentir, voilà les ingrédients du succès. Ne serait-il possible de construire sa personnalité qu'à travers ce filtre ? C'est ce que, du chef de village à notre héros, on croit comprendre à la lecture de ce récit. C'est amusant un moment, mais semble un peu court et répétitif.
L'intérêt du livre n'est pas là, mais plutôt dans le panorama réaliste et coloré qu'il dresse de la vie rurale chinoise, dure, impitoyable à ceux qui ne réussissent pas. Mo Yan ajoute flash sur flash, établissant un tourbillon d’événements, de situations, de personnages où pour notre plus grand bonheur nous nous perdons. L'art de l'écrivain exceptionnel qu'il est donne ici toute sa mesure.
Le récit est en fait motivé par une confession que fait le héros, dix ans après les faits relatés, dans le but de devenir moine bouddhiste. Là aussi le talent de Mo Yan s'exprime largement dans de courtes chroniques de cette confession, pleines de surnaturel, de rêve et de poésie, qui s'entrelacent avec le récit proprement dit.
Même si le lecteur piétine parfois dans une intrigue farfelue, mais pleine de truculence et de vie, ce livre reste pour lui une évasion originale et une source de connaissance privilégiée de ce monde chinois en pleine évolution.
Points P3122 (2003), 583 pages