Il s'agit en fait de deux romans qui se répondent. Le premier est le récit par Jésus de sa vie, telle qu'il la voit évoluer avec ses yeux d'homme de l'état d'un garçon original plein de charme mais dilettante à celui de messie contesté, en passant par le rôle d'un gourou guérisseur qui envoûte les foules. Le second est le récit par Pilate, préfet de Judée, qui laisse condamner Jésus par les dignitaires de la religion officielle, et doit ensuite faire face à l'invraisemblable : la disparition du corps de Jésus mort.
Le choix de l'auteur est de faire de Jésus un être simple et modeste qui, longtemps, ne croit pas à sa mission de messie. Certes, il a en lui une compassion pour la situation de son peuple, sans trop analyser d'ailleurs ce qui l'avait conduit là. Il sait prononcer le mot qui touche avec l'obscurité qui convient. Il est en fait un tribun né, entouré d'exaltés comme Jean-Baptiste, anxieux d'en faire leur porte drapeau. On lui prête alors le don du miracle et il s'en laisse peu à peu convaincre. Il finit par se croire investit de la mission dont on le prétend chargé. L'histoire s'accomplit alors jusqu'à son dénouement. Il aurait sans doute été impensable qu'il en soit autrement, au milieu de ce peuple fou de dieu et encouragé en cela par sa caste religieuse plutôt fanatique, de ces prophètes discoureurs et surtout de ce climat d'espérance d'un sauveur dont on attend tout. Difficile de dire non ?
En face, Pilate, préfet romain efficace, pour qui un plus un fait toujours deux, est responsable de ramener le calme chez ces exaltés. Il se pensait débarrassé du prophète en le faisant crucifier à la demande des hiérarques juifs, mais une vraie tuile lui tombe sur la tête : le corps disparaît et la rumeur veut qu'il ait ressuscité ! Pilate écrit alors à son frère Titus sa longue enquête et ses échecs à mettre en évidence une solution raisonnable à ces étranges faits. Sa femme Claudia avec qui il forme un couple uni tombe sous le charme de ce qui n'est pas encore une nouvelle religion. Pilate, d'ailleurs parfaitement incrédule mais tolérant, poursuit jusqu'au bout sa recherche, tout en acceptant que sa femme en qui il a toute confiance prenne une autre voie que lui. La conclusion un peu courte de l'auteur est que l'un comme l'autre à leur manière sont des chrétiens, elle pour avoir cru et lui pour avoir reconnu qu'il ne trouvait pas de solution raisonnable sauf à accepter des témoignages un peu illuminés...
Il me semble que pour éprouver de la sympathie pour cette histoire démente qui a pourtant façonné le monde il faut avoir la foi, ou au moins avoir envie de l'avoir. Ce n'est pas mon cas. Ce qui par contre me retient dans ce livre c'est d'abord la montée fort crédible de Jésus d'un état de décalé fainéant à son statut de gourou. Pour en arriver à croire que l'on va sauver le monde, il faut quand même avoir perdu toute mesure ! Mais le climat halluciné dans lequel se déroulent ces faits explique en partie les choses. Le livre de Lion Feuchtwanger "La guerre de Judée" est là dessus encore plus explicite.
La valeur de ce roman se situe plutôt dans le journal épistolaire de Pilate et sa confiance dans la raison qui peut ramener la paix entre les hommes. L'exaltation de l'amour ne le choque pas ; il sait que cela ne suffit pas pour faire vivre les hommes ensemble. Il veut combattre l'intolérance de ces moyen-orientaux phraseurs et péremptoires non pas par des affirmations sans fondement, mais par des faits, par un ordre qui a si bien réussi à Rome. Sa quête est pathétique mais elle est la vraie grandeur de ces pages...
Éditions Albin Michel 2000