Zhu Xiao Mei La rivière et son secret
 
Zhu Xiao-Mei est une grande pianiste classique (née en 1949). Elle nous confie ici sa biographie avec réserve et pudeur. Issue d'une famille intellectuelle aisée et donc coupable pour l'idéologie ambiante de l'époque, elle dut sacrifier 10 ans de sa jeunesse et de ses études musicales à Mao et à sa "Révolution culturelle". Vivant comme un chien, affamée, déshumanisée, asséchée, elle survivra grâce à ce qu'elle avait eu le temps de découvrir de la musique, qui restera pour elle comme une lumière au bout du tunnel. A 30 ans, sortie de ce vide, elle réussira grâce à sa volonté, son ascétisme et un peu de chance, à se hisser au rang des plus grands pianistes, sans pour autant atteindre la notoriété qu'elle aurait pu mériter. Heureusement, nous avons ce témoignage et ses enregistrements (et en particulier les "Variations Goldberg" de J S Bach) qui, l'un comme l'autre, nous remuent profondément.
 
Un conseil : prenez quelques minutes pour lire en prologue les 5 pages du chapitre 27 ("A jamais meurtrie"). "La Révolution culturelle m'a salie..." dit-elle. Ce sera presque la seule plainte que ce livre laissera s'exprimer et qui prendra ainsi une force extraordinaire. C'est aussi le seul moment où elle baisse un peu la garde et nous émeut. Car ZXM ne veut pas qu'on l'aime ni qu'on partage son émotion face à son destin. A ses yeux, seule la musique nous lie et nous parle. Le reste est pour elle une affaire personnelle, un karma que l'on ne peut qu'accepter, sans pour autant se soumettre. Culture chinoise ou blessure profonde ?
 
Cette biographie est magnifique, car c'est un livre d'histoire racontée au premier degré et dont le sens est donné par celui d'une vie privée d'éducation, de liberté et de l'amour des proches, à un âge où ces liens sont le ciment qui construit une vie. L'extrême discrétion de l'auteur ne nous ouvre certes pas toutes les portes du château qui reste pour moi une forteresse. Mais, outre le chapitre 27, une telle retenue intrigue et permet de craindre une blessure si profonde qu'elle ne peut se vivre que dans la solitude, face au clavier. On ne peut qu'en pleurer et se souvenir des récits incompris, presque inacceptables des prisonniers de retour des camps de  concentration allemands, face à l'incrédulité de leurs auditeurs.
 
Et puis il y a la musique, elle aussi vécue pour l'essentiel dans la solitude. Bach, la rivière en français, a toujours accompagné ZXM, même quand elle ne le jouait pas, faute d'instruments et de partitions, détruites par autodafé. D'autres compositeurs sont mentionnés, mais il est clair que Bach a été la source de savoir et de vertu de l'auteur. Avec cette pointe d'amertume qu'elle exprime si bien lorsqu'elle déclare que lorsque le concert s'achève, même s'il est un triomphe, une part de ce qui aurait pu être dt ne l'a pas été. La perfection ne s'atteint pas, comme le malheur n'est jamais sans fond. 
 
Il n'est pas possible en si peu de pages de mieux faire comprendre les conséquences humaines de la folie totalitaire, celle même que le prosélytisme de certaines religions veut aujourd'hui imposer au monde. Dans les dernières pages du livre ZXM tente une synthèse spirituelle de son parcours. Nul n'a l'oreille absolue à l'écoute des religions ou de leurs mises en cause, mais ZXM ne manque pas d'exprimer son étonnement (son dégoût ?) devant ceux qui croient détenir la vérité. On ne peut que lui faire confiance.

Un livre exceptionnel, humain et vrai, qui a pour moi par certains aspects une force voisine de celle de "Si c'est un homme" de Primo Levi.
 
 
Robert Laffont (2007), 335 pages