Ce livre, remarquablement bien documenté sur ce qui bouleverse le Moyen Orient depuis plus de deux ans, est une aide précieuse pour se faire une image de ces bouleversements. Il laisse néanmoins béante la question que nous nous posons tous : que va-t-il se passer maintenant ?
GK a accompli une série de voyages dans cette zone troublée. C'en est le journal qui nous est proposé là. Mais pas n'importe lequel. L'auteur a en effet accumulé une très longue et profonde expérience de ces contrées, ce qui lui a donné des repères, des références, sans lesquels les faits décrits resteraient sans lien entre eux, voire incompréhensibles. Expérience aussi, résultant des contacts exceptionnels acquis au fil des ans dans les pays concernés. Expérience, enfin, qui a constitué le fondement de son enseignement à Sciences-Po.
De plus, il livre à chaque étape, avec prudence, les réflexions que les faits observés lui inspirent. Des réflexions qui sont souvent des précisions, des mises en relation de faits ou de propos, plus que des conclusions. Nous ne saurons jamais le fond de sa pensée, ni les évolutions qu'il estime probables, ni surtout ce que personnellement, il pourrait espérer. Alors, à nous d'essayer d'y voir clair, enrichis du bagage ici donné.
On sort en tout cas de cette lecture avec une meilleure cartographie des forces en présence, conglomérées par des visions militantes de l'Islam et qui se déchirent autour de trois pôles actifs et armés : Chiisme, Frères Musulmans et Wahabisme. Mais un quatrième champ de forces est là qui interfère avec ces trois pôles : la démocratie libérale occidentale dont les succès économiques fascinent ces peuples pauvres. Et, dans les pays pétroliers, qui financent cet Islam violent, les dirigeants les plus éclairés savent bien qu'ils vivent sur une matière première non renouvelable, à durée de vie limitée et non sur le produit de leur génie propre. Et que leur dépendance vis-à-vis de cet Occident qui achète est totale. Insupportable forme douce de la colonisation...
J'ajouterai et ce sont mes réflexions et non celles de l'auteur (en tout cas elles ne sont pas affirmées explicitement dans le livre), que ces populations aspirent sans doute, comme les autres, à la paix et la prospérité. Et qu'il faut pour cela des institutions, un ordre, qui puisse apporter un cadre où ces attentes puissent se réaliser. Il n'y en a aujourd'hui que deux possibles : les armées et les Frères musulmans. Les armées se sont largement déconsidérées dans les 50 dernières années, souvent inspirées par l'idéologie toxique du communisme et ayant en fin de compte dérivé vers des dictatures, le clientélisme et la prévarication. Alors que reste-t-il ?