kepel fitna

 

L'Islam fait peur à l'Occident, en partie parce que celui-ci l'ignore et ne le comprend pas. Ce livre apporte une vue analytique et bien documentée de l'Islam actuel et de ses divisions, dont bien des actes sanglants que nous livre la presse sont des conséquences.

Bien entendu, tout est à lire. Mais s'il fallait ne choisir qu'un chapitre, c'est à mon avis celui intitulé "La bataille d'Europe" qu'il faudrait privilégier. Il nous touche évidemment plus directement, parce qu'il offre une grille d'analyse de ce qui est en jeu chez nous.

Connaît-on, par exemple, les trois attitudes tranchées et irréconciliables qui caractérisent la nébuleuse islamiste ? Pour faire bref :
-Salafisme du jihad : prosélytisme violent et conquérant des Terres d'impiété du monde. C'est Al Qa'ida, par exemple.
-Salafisme "cheikhiste", visible dans nos banlieues en calotte et djellaba blanches, d'hommes qui vivent en Terre d'Impiété sous l'autorité du Coran et de la Charia en repli sur eux-mêmes en attendant le retour en Terre d'Islam, mais non violents. On est bien près du judaïsme hassidim.
-Mouvance des Frères musulmans, conscients de vivre en terre d'Impiété, mais s'implantant dans l'espace public pour amener à terme la transformation en terre d'Islam. C'est chez nous, l'UOIF, par exemple. Ceux-ci fonctionnent comme les communistes en leur temps, par noyautage des institutions populaires existantes.
Il va sans dire qu' entre ces trois attitudes, certaines chacune de détenir la vérité, c'est la guerre, la Fitna, ce qui est le titre même du livre.

A cela s'ajoute la division sunnisme-chiisme, mieux connue, mais dont on constate chaque jour le sang qu'elle fait couler, dès que les "vrais" croyants sortent du joug des dictatures. L'Irak n'en sort pas.

Et puis existe l'immense masse de ceux qui ne croient plus que par respect de leurs parents et des autres, et qui constatent la voie sans issue de ces islamismes, mais ne disposent d'aucune institution pour faire vivre leur espoir. A titre d'exemple de ce type d'impasse, le gouvernement a créé un Conseil français du culte musulman (CFCM), sans trouver autre chose que des salafistes pour en prendre le contrôle, alors qu'ils ne représentent pas ces masses ! Quel échec !

N'est-ce pas aussi, en partie, cette recherche de représentation hors les enfermements de la foi qui anime les mouvements actuels (2011) des pays arabes, mouvements qui font fort peu référence à l'Islam et encore moins aux islamistes ? Le livre, écrit en 2004 mériterait un chapitre à ce sujet.

En revanche le livre rappelle notre devoir, toujours actuel, d'Européens d'aider ces populations en voie d'intégration à sortir de leur seule dimension religieuse et de l'emprise de leurs représentants, souvent incultes, qui s'arrogent un pouvoir fragile fait de peur et de promesses, mais non représentatif. Encore faudrait-il offrir autre chose, toujours à trouver.

Ce livre, très riche, ouvre bien d'autres portes de compréhension du monde de l'Islam politique et des forces en jeu. Les dégâts faits par les néoconservateurs américains y sont clairement précisés. L'intenable et paradoxale position de l'Arabie Saoudite y est bien analysée. Les soubresauts d'Al Qa'ida ne manquent pas non plus d'intérêt.

Une lecture qui demande certes de l'attention, mais infiniment riche et qui doit nous donner un peu de recul et quelques repères face à un journalisme superficiel qui, sur ce sujet, nous abreuve plus d'émotion que de savoir.

A quand la mise à jour ?

 

Gallimard (2004) - 381 pages