Une femme née en kibboutz en Israël en 1960 raconte son existence et le cheminement bien particulier qu'elle a vécus, ou plutôt qu'elle a été contrainte de vivre au coeur de cette utopie. Car le kibboutz ne représente pas seulement un mode d'organisation de la ferme ; il est l'expression concrète d'un rêve d'organisation rationnelle du monde. Et, comme toute utopie, il aura été générateur d'enthousiasme et de déception.
Le livre ne reflète aucune acrimonie, aucun rejet, aucune volonté de dénoncer ou mettre en garde. Il raconte seulement un parcours qui n'a pas convaincu l'auteur ni ceux de ses compagnons, nombreux, qui ont quitté la voie. Nous ne sommes pas dans une secte ou une mafia ou une prise de distance est une déclaration de guerre. La séparation est douce et ne coupe pas les ponts.
Il y a pourtant de quoi se poser des questions. Il est clairement établi pour cette utopie socialisante (comme ce fut aussi le cas pour les autres du 20e siècle) que la fabrication d'un homme nouveau passe par une séparation quasi totale des enfants de leurs parents, c'est-à-dire une destruction volontaire de la cellule familiale. De plus, ces enfants sont alors endoctrinés sans possibilité de jugement ou de comparaison avec le monde environnant. Ils sont également coupés de la vie extérieure et soumis à une vie collective et à des conditions de travail sévères.
Mais, ce qui semble avoir le plus affecté l'auteur est le fait d'avoir dû vivre sans l'amour d'une famille, de gens proches et expérimentés qui aident à construire par l'affection et l'échange une image du monde si utile dans la première jeunesse. Les substituts proposés, éducateurs de tous poils, sont certes actifs et engagés, mais ne remplacent pas la chaleur familiale. Que dire aussi de ces parents à qui les enfants ont été enlevés et qui, en quelques années, sont devenus pour eux des étrangers ?
Ce livre est nostalgique. La nostalgie d'un rêve qui a révélé sa part d'illusion et celle d'une vie partiellement gâchée par son incomplétude. Il fallait beaucoup de courage pour écrire tout cela. Merci à l'auteur de l'avoir fait. Le 20e siècle aura décidément été celui des utopies perdues...
Babel (2015), 266 pages