La qualité de cette biographie repose pour beaucoup sur le style direct, frais, craquant, de l'auteur. Lequel se pose souvent des questions sur sa méthode et nous en fait part ! Et pour moi qui ai presque l'âge du "Roi René" et qui aime et ai bien connu le jazz, c'est un plaisir particulier de croiser ici et là des musiciens des années "bop", gloires des clubs parisiens de ma jeunesse ! Sans négliger le contexte plein d'illusions et aujourd'hui bien vieilli des années 60/70.
René Urtreger est un pianiste de formation classique qui s'est exprimé dans la musique de jazz où il a fait et fait encore merveille. Vous saurez facilement vous en convaincre en écoutant un enregistrement disponible de 2006, "Tentatives". Il a joué avec les maîtres qu'ont été Miles Davis, Stan Getz, Charlie Parker, etc. Ceci suffira à coter le musicien pour ceux qui connaissent un peu ce monde du jazz. C'est donc un parcours dans cet univers qui se déroule en suivant la carrière de René Urtreger, carrière qui va en épouser le meilleur et le pire.
En effet, ses dons exceptionnels l'ayant conduit au sommet à 20 ans, René Urtreger comblé trop vite et encore peu armé va succomber gravement à la peste de la drogue dont il ne sortira que 20 ans plus tard. Le livre relate avec beaucoup de sensibilité et d'empathie le calvaire qu'il a vécu, dont il est certes responsable, mais qui va le scotcher au fond du trou, quoi qu'il fasse. Il ne tient plus son rang au sommet du podium et aura une seconde vie dans la variété pour vivre. Il en tirera de belles occasions de rencontres, en particulier avec Claude François, mais ne s'y épanouira pas. Il frôlera le suicide.
Il faut dire aussi que le jazz lui-même traversera une crise de style majeure, bien décrite dans le livre. Le "swing" qui avait caractérisé cette musique jusque là n'est plus la condition obligée de la nouvelle tendance "free". Et les as du "bop" sont vite ringardisés (pour un temps, d'ailleurs). René Urtreger voit ces circonstances s'ajouter aux conséquences de son addiction, ce qui n'arrange rien.
Le salut viendra de sa volonté de s'en sortir, revitalisée par une rencontre amoureuse dont les fleurs, si je comprends bien, sont encore vivantes. Peu à peu, avec pas mal de travail, le métier reviendra et une musique plus personnelle, plus libre aussi s'en dégagera. Le vedettariat étourdissant et toxique aura alors cédé la place à un jeu moins esclave des circonstances, toujours de très grande qualité, qui entraîne plaisir, mais aussi respect quand on connaît l'histoire dont il est issu.
Un livre passionnant, d'une lecture agréable grâce à la fluidité du style de l'auteur, certes dédié d'abord à un musicien exceptionnel, mais qui est aussi un livre d'histoire contemporaine, vivant et enrichissant.
Odile Jacob 2016, 272 pages