sansal train
 
"La métamorphose de Dieu"
 
Voici un magnifique roman qui va nous conduire, volens nolens, au pays des mondes parallèles, dont nous ne savions ni qu'ils étaient si proches ni qu'ils avaient tant à nous dire. "Trahison des Clercs" ou "Soumission" ? Mais aussi résistance, car il y a tout à sauver pour peu qu'on ait mesuré la valeur de ce qui est en jeu quand "Les Serviteurs" menacent. Un livre à méditer, car il sait à la fois nous aider à percevoir la beauté de notre monde fragile et à sentir les faiblesses qui pourraient nous le faire perdre.
 
Les romans sont souvent un indicateur d'alerte avancée. La sensibilité des auteurs perçoit des signaux faibles que nous détectons peu ou pas, pris par le tourbillon des affaires ou des fins de mois. Or de nombreux auteurs mettent en garde depuis quelque temps sur la contrepartie pas toujours mesurée d'une tolérance excessive aux idées et surtout aux morales importées lorsqu'elles sont un support de fanatisme, comme la plupart des religions le sont ou l'ont été quand la société civile ne les tient pas en laisse. Certes, la "soumission" est une caricature, mais elle trahit aussi une incertitude sur notre volonté de défendre ce que nous possédons. Il n'y a pas que de la lâcheté dans cette attitude, mais aussi une volonté humaine d'ouvrir les bras, autant qu'un oubli parfois consenti de ce que nous risquons de perdre.
 
Le roman dégage une vision sombre de nos chances de résister et de défendre ce que nous sommes. BS est né en Algérie, y réside et voit son pays sur la crête qui sépare la vie normale de l'enfer du fanatisme du "bien", soit-il celui des Dieux. Il est au premier rang de balcon, ce qu'il paye d'ailleurs assez cher. Mais nous, en Europe, pouvons-nous affirmer que nos institutions et nos traditions démocratiques libérales nous mettent à l'abri du saut dans la désintégration sociale que cet excès de tolérance peut provoquer ? Ce qui se passe en ce moment en France sous couleur jaune et l'accueil favorable qu'y donne une majorité de la population montrent que nous ne sommes plus à l'abri du pire si le seul critère est le respect de l'opinion du peuple. La démocratie libérale est un équilibre qui doit aussi préserver la liberté des individus, comme le rappelle l'excellent essai de Yascha Mounk, "Le peuple contre la démocratie". La leçon est forte et mérite d'être méditée.
 
Il faut aussi lire ce roman pour ce qu'il est d'abord, c'est-à-dire un beau moment de lecture. Sa forme, originale, est composée de deux récits intriqués aux passerelles subtiles et instables, comme celles qui nous lient à notre image dans un miroir. Deux univers parallèles que seule l'imagination permet de relier , nonobstant les analogies des situations décrites. Et son écriture exemplaire de limpidité rend la lecture agréable, en dépit du lourd avertissement qu'il contient. Un livre remarquable.
 
Gallimard 2018 - 250 pages