Même si le Caucase n'est pas notre voisin, nous savons confusément qu'il joue un rôle significatif dans l'histoire contemporaine. Les révoltes tchétchènes nous disent quelque chose. Les Tcherkesses, les Balkares ou les Ossètes, par exemple, sont pour beaucoup d'entre nous des univers proches du virtuel. Et pourtant, ils ne le sont pas et la lecture de ce livre va leur donner corps. Peuples des montagnes, farouchement indépendants, ce livre est leur roman, qui, de saison en épisode, ne nous lâchera pas jusqu'à la dernière page. Page dont nous comprenons d'ailleurs qu'elle n'est pas la fin de leur histoire. Car l'arrivée houleuse du pétrole, richesse au parfum de soufre, ravivera les passions et les conflits. Une passionnante lecture.
Le Caucase, dont le sommet, l'Elbrouz, culmine à 5642 m est une barre montagneuse, presque infranchissable, encore de nos jours, entre le Nord, russe, et le Sud, Moyen oriental. En même temps, il sépare (assez mal d'ailleurs) les chrétiens des musulmans, thème de fracture par excellence de nos jours. Et, si on ajoute à cela sa richesse en pétrole, on comprend que le Caucase ne saurait échapper ni à la passion idéologique ni aux intérêts du monde et que son histoire n'est pas celle d'un fleuve tranquille. Cédée aux Russes en 1829 au traité d'Andrinople par les Turcs (qui ne le possédaient pas), une partie du Caucase devient ainsi colonie russe. Leurs habitants se révolteront et tiendront longtemps tête à l'intrus.
Les Russes, qui à la même époque avaient déjà conquis les plaines de part et d'autre du Caucase, décident alors de "pacifier" les montagnards eux-mêmes, responsables de razzias incessantes sur leurs terres. Comme avec les précédents, ils rencontrent une résistance incroyable, facilitée par le terrain montagneux. Le livre montre à la fois le courage et l'énergie que les uns comme les autres mettront en œuvre. Il montre aussi la cruauté des deux parties dans ces conflits. Villages rasés, humains abattus jusqu'au dernier, déportations, le livre dresse un panorama sans complaisance de "l'amour humain". Notons que l'auteur garde la distance suffisante et qu'à aucun moment son livre ne devient un plaidoyer pour l'une ou l'autre cause, ni un déversoir d'émotion indignée à la mode. Admirable !
La percée nazie vers les sources du pétrole de Bakou va traverser le Caucase. Les peuples locaux voient dans ce 'visiteur" qui ne cherche pas à les dominer un éventuel allié contre les Russes. Les nazis défaits à Stalingrad retourneront bien vite chez eux et laisseront les peuples du Caucase stigmatisés par leurs sympathies nazies. Les Russes le leur feront payer par des déportations totales, qui décimeront ces peuples.
Quant au roman du pétrole, il ajoutera sa touche dramatique à une histoire déjà lourde. Le monde entier y participera, le soviétisme détruira à peu près tout, aussi bien par son existence que par sa fin, qui fera de la Caspienne une zone explosive encore à risque aujourd'hui.
Le livre se lit d'abord comme un roman, dont chaque page appelle la suivante. Un autre livre de l'auteur, "L’Épopée Sibérienne", avait déjà fait un magistral récit d'une longue page d'histoire. Oui, aussi cruelle soit-elle parfois, l'histoire est un roman. Elle peut aussi, grâce à des textes comme celui-ci, nous enseigner la complexité du monde tout en montrant que rien n'arrive sans causes. Causes et non pas cause, comme trop souvent on l'entend et parfois on le croit. Ce livre magnifique est un cadeau inattendu qui, de plus, concerne un monde qu'il n'est pas inutile de mieux comprendre. Car la Russie, c'est l'Europe, n'est-ce pas ?
Syrtes Poche (2006 rev. 2018), 985 pages (sic).