Voici un essai sur la liberté, sa philosophie et ses pratiques politiques, à la fois riche, voire foisonnant, mais en même temps décevant quant aux finalités de l'usage qu'on peut faire de celle-ci. Car en l'absence d'une stratégie d'emploi de la liberté face aux problèmes contemporains, on ne peut que donner à méditer sur le passé. C'est incontestablement utile, mais cela peut vite devenir une rengaine sur l'air de "c'était mieux avant". Tout ce qu'écrit l'auteur est juste et bon ; mais avoir bien graissé sa voiture n'est pas la garantie, à soi seul, d'un beau voyage.
Car la liberté est un moyen, non une fin. Un moyen sans lequel l'économie, notre veau d'or, est malade, sans lequel une société sombre en dictature avec des conséquences inéluctables, sans lequel la paix est en danger. Tout cela, l'essai le montre bien en s'appuyant sur des faits historiques et sur les écrits qui y ont été consacrés. Tous les penseurs de la liberté sont convoqués et cités à un point qui d'ailleurs me paraît excessif, car il conduit à un océan de points de vue qui, au fond, manque d'unité.
Certes, pour la Turquie, l'Iran ou Hongkong la liberté est aujourd'hui plus qu'un moyen. Mais pour notre Occident qui en a fait depuis longtemps la matière première de sa vie politique, la perspective est autre. Et ce que le livre ne dit pas c'est que l'absence actuelle de vision politique pour l'usage de cette liberté est peut-être ce qui la rend de nos jours si menacée.
Certes, pour la Turquie, l'Iran ou Hongkong la liberté est aujourd'hui plus qu'un moyen. Mais pour notre Occident qui en a fait depuis longtemps la matière première de sa vie politique, la perspective est autre. Et ce que le livre ne dit pas c'est que l'absence actuelle de vision politique pour l'usage de cette liberté est peut-être ce qui la rend de nos jours si menacée.
Quant à la foi souvent exprimée dans le livre que la liberté peut être à elle seule une assurance contre le délire politique, je ne la partage pas. La liberté n'induit pas nécessairement l'intelligence politique ni le dégoût de la soumission volontaire. Ni même ne protège contre son sacrifice contre des lendemains qui chantent. Car sans stratégie politique visionnaire, je me répète, l'adhésion à la liberté vacille et c'est ce que nous vivons en ce moment. L'idéologie du toujours plus de la seconde moitié du 20e siècle s'essouffle, elle qui permettait de rêver pour ses enfants d'un monde plus facile. Cette idéologie matérialiste bat de l'aile et rien de sérieux ne la remplace dans le monde de la pensée politique. Alors oui, cette liberté sans projet est fragile.
Ce livre est touchant, car il met intelligemment et justement en garde contre la perte de cette liberté qui est notre signature occidentale. L'auteur en souffre manifestement et ne manque pas d'arguments et d'exemples pour nous faire partager ce sentiment fondé. Il me semble cependant qu'il confond la cause (l'absence d'une vision politique qui entraînerait un besoin de liberté) et la conséquence (la perte de liberté et la montée des populismes). Comme le livre (excellent également) de Yasha Mounk (Le peuple contre la démocratie) il s'arrête là où commence la vision politique qui serait utile pour entraîner notre adhésion et notre espoir. Dommage, d'autant plus que l'auteur pressent ce besoin quand il écrit page 108 que "les difficultés que nous avons tous à affronter participent davantage d'une crise de civilisation que d'une crise simplement politique ou économique". Un livre passionnant par l'histoire de la liberté qu'il résume et les réflexions philosophiques et politiques qu'il fait sur ce concept essentiel, mais qui appelle, à mes yeux, une réflexion politique de fond pour rendre leur éclat et leur utilité au concept de "personne humaine" et de ses droits et pour donner une vie nouvelle à ce "monde libre" dont nous avons tendance à oublier l'apport.
Plon (2019), 312 pages