schnitzler vienne

 

Ce livre est plus qu'un magnifique roman dont le style, l'atmosphère et l'intrigue suffiraient, à eux seuls, à en faire un chef d'oeuvre. Il est d'abord une peinture attentive et lucide de la Vienne du tournant du siècle. Ville éblouie par sa capacité créatrice, en sciences, en art ou en littérature, qui, comme le disait S. Zweig dans "Le monde d'hier" ("C'était l'âge d'or de la sécurité" écrit SZ), pouvait croire sa gloire éternelle. Le rythme circulaire de l'action témoigne de cet immobilisme qui allait être mortel pour l'Empire. Chaque classe sociale y joue d'ailleurs sa partie, dans son registre.



Un autre thème traverse ce roman avec insistance : celui de l'antisémitisme montant, certes, mais surtout celui de l'existence particulière des juifs de Vienne, au coeur de cette tourmente. Cette méditation est remarquable et n'a que peu perdu de son actualité si on la transpose à notre monde actuel. On pourrait y voir, mais sans doute avec les lunettes de notre époque, un constat peu amène sur la situation de la femme dans cette société. Est ce l'intention d'AS ? Je ne le pense pas.

La musique y joue aussi sa partition. Vienne serait-il Vienne sans musique ? Chacun joue d'un instrument, chante, compose. Mais, peut-être la musique n'est-elle qu'un révélateur de ce que je crois être l'essentiel de ce livre.

Car ce qui me frappe surtout est ce que le titre allemand porte en lui : liberté et ouverture que l'on saisit ou non pour en faire son propre destin. Responsabilité que l'on endosse par l'usage que l'on fait de cette liberté pour conduire son existence, quelle que soit la contingence. La route du large, le chemin de l'être libre.

Comment G von W, jeune, riche et séduisant a-t-il donc conduit son destin ? Musicien doué, aurait-il du travailler en profondeur la composition et non jouer au dilettante, comme il l'a fait ? Pouvait-il éviter le drame, les drames, dont il a une part de responsabilité ? Il mûrira pendant cette année critique et sort de l'épreuve mieux armé. Il sait que son amateurisme un peu jouisseur l'a desservi et qu'un destin ne se bâtit pas sur l'écoute servile de ses émotions, pourvoyeuses certes, de plaisirs, mais aussi d'erreurs et de déceptions.

Chacun des personnages, à sa manière, se débat devant les mêmes choix et y apporte, ou non, sa lucidité, qui relève, encore une fois, d'un équilibre bien balancé entre les sentiments et la raison. En ce sens, on peut dire qu'il s'agit là d'un "roman de formation" dans la tradition germanique. Mais ce n'est par le moule qui fait le gâteau.

Et comme cerise sur celui-là, dégustez aussi sans réserve les splendides descriptions de paysages qui contribuent grandement à la beauté et à l'atmosphère du livre.

 

Je recommande, au passage, l'édition de "La Pochothèque" en 2 tomes. Tout est bon chez AS !

Editions La Pochothèque (1994) - 300 pages pour ce roman