Cette fresque, presque balzacienne, nous fait vivre, au cours des années 1900, les derniers moments de la dynastie mandchoue, que la République de Sun Yat-sen allait renverser en 1912. Tout cela est écrit avec une paradoxale légèreté par l'épicurien qu'est LY et fait de ce livre un rare moment de plaisir.
L'écrivain (1895-1976) a connu cette période critique de la Chine. Il écrit ce roman peu après son exil en 1939, provoqué par la poussée japonaise. Est-ce une évocation de ses racines et du contexte de sa jeunesse aisée ? Sans doute. Il avait à peine 20 ans quand la République s'installe et ces événements, y compris la Guerre des Boxers, l'ont évidemment marqué.
Il me semble aussi que LY, fin lettré chinois, nous rappelle que les valeurs de sa civilisation et en particulier celles attachées à la molécule familiale sont éternelles. Elles sont, pour lui, la condition d'un équilibre plus profond que celui que recherchent les révolutionnaires de tous poils. Confucius pas mort... C'est au sein de cellules familiales tissées par des mariages, où les sentiments jouent un rôle, mais secondaire, que tout se déroule, que chacun cherche à imprimer sa propre existence. Mais alors, l'individu n'écrit pas sa vie sur une page blanche, mais sur la partition et dans les tonalités que sa famille favorise.
On pourrait presque dire aussi que LY voit dans cet équilibre individu-famille la condition d'une vie humaine où les grandes craintes, comme la misère, la solitude, sont conjurées. Sur cette base, l 'épicurien qu'il est construira sa "vie heureuse", en disposant de la sérénité nécessaire. Il ne saurait pas le faire sans cela, en particulier dans un monde où il serait seul, comme celui que LY sentait venir et qui est aujourd'hui le nôtre. Qui pourrait prétendre que les institutions sociales ont remplacé l'efficacité et la chaleur des liens familiaux ? Mais c'est une autre histoire.
Cette saga est agréable à lire, paisible et est d'une richesse humaine et d'une sagesse qui peuvent encore nous toucher.
Un grand écrivain.
Voir également du même auteur : "L'Importance de vivre".