rovelli ecrits
 
J'ai retrouvé dans ce livre l'esprit d'un "honnête homme" des siècles passés, qui a sur les grands sujets du monde contemporain une manière de voir personnelle et qu'il souhaite partager ici. Un peu à la manière des essais de Montaigne, en bref. L'auteur est un physicien qui travaille sur les théories de conciliation de la relativité générale et de la mécanique quantique. Or son livre, composé d'une cinquantaine de petits chapitres issus d'articles récents, est absolument sans difficulté de lecture et son style coulant, simple et direct le rend extrêmement agréable à lire. On y parle bien entendu de notre univers, sources de découvertes actuelles passionnantes, mais aussi de politique, d'identité, d'hommes extraordinaires, de philosophie, de religion, etc. Un livre qui laisse transparaître un homme optimiste, qui conserve une foi inébranlable dans le pouvoir de la raison.
 
Les questions abordées sont, pour une part importante, inspirées par l'état actuel de notre savoir. L'auteur en connaît les limites mieux que personne, en raison de son travail. Et quand il nous dit que nous fabriquons le temps, donnée dont, peut-être, la physique peut se passer, on relit son chapitre deux fois. Apprendre qu'un poulpe a autant de neurones qu'un enfant nous oblige à le regarder avec un peu plus d'attention et aussi de respect. Constater aussi qu'entre certitude et incertitude existent mille états n'est pas inutile à méditer avant de prendre pour une vérité ce qui n'en est pas. C'est un voyage intelligent au bord du savoir qui nous est proposé là.
 
J'ai beaucoup apprécié les multiples chapitres consacrés à des hommes ayant laissé leur trace dans l'histoire. Non parce qu'ils ont dévasté le monde pour assurer leur gloire, mais parce qu'ils se sont posé de bonnes questions et ont agi en conséquence. Churchill par exemple est loué pour avoir dès 1940 institué la fonction de conseiller scientifique dans son entourage politique. Aristote n'est pas le piètre physicien habituellement désigné, mais un homme de son temps. Et si Newton pratiquait l'alchimie, ce n'est pas par superstition, mais comme voie possible d'accès au savoir. Plus sensibles sont les mots de CR sur Stephen Hawking, récemment décédé, ou ceux sur Peter Higgs.
 
Mais à mes yeux, la part la plus savoureuse du livre est celle qui se consacre aux grandes questions du temps, comme le climat, la foi, l'inégalité, la liberté, entre autres. Choisissons, par exemple, la question : sommes-nous libres ? C'est sur une réponse positive que repose la démocratie, qui se fonde sur les choix libres des citoyens, ou que se constitue le droit de punir un délit, pour autant que le coupable ait été libre de le commettre. Or les récents progrès de l'imagerie cérébrale tendent à montrer que nous sommes beaucoup plus conditionnés que nous ne le pensions, que nos actes "libres" sont en fait déterminés par notre biochimie. Est-ce la perte de notre liberté ? Ou est-ce le deuil du schéma cartésien de l'esprit commandant le corps ? Cela donne à penser et je mettrai, à titre indicatif en note un point de vue, le mien.
 
Ce livre me semble donc hautement recommandable si votre curiosité a encore un peu faim. Et ceci au prix modeste d'une lecture facile et claire. A consommer sans réserve ! Et si la physique actuelle vous intéresse, lisez ( c'est plus spécialisé !) les livres du même auteur : "L'ordre du temps". ou "Par-delà le visible".
 
Flammarion (2019), 341 pages
 
 
Note sur "Sommes-nous libres ?"
 
Conclure à une réponse négative sur l'existence de la liberté quand on constate que tout laisse à penser que nos "décisions" sont déterministes, que nous ne sommes pas conscients du processus cérébral totalement contraignant qui y conduit, serait pour moi une erreur. Il me semble que nous nous "payons de mots" en raisonnant ainsi et que nous continuons alors à révérer le dualisme corps-esprit en le faisant.
Car, qui pourrait penser que la liberté soit synonyme d'indécision ? C'est tout le contraire ! La liberté consiste justement à prendre une décision qui soit la nôtre et non imposée par une contrainte extérieure, immédiate et dominante. Or, comment une décision pourrait-elle se prendre sans un mécanisme cérébral dont il est heureux qu'il ne soit pas aléatoire ?  Mécanisme éventuellement complété par des incidentes internes à notre corps que nous ignorons encore.
Ce qui est essentiel est que cette décision soit la nôtre, conditionnée par ce que nous sommes, mémoire, expériences, état physique, influences, illusions, croyances, etc. L'ensemble de ces paramètres combinés et dépendants de ce qui nous entoure, c'est notre moi. C'est cela qui est notre personnalité et notre "liberté" est de façonner nos décisions, nos choix sur ce moi aussi impermanent et fluctuant qu'il peut être. Il me semble qu'ainsi comprise, comme la singularité du moi, la liberté a un bel avenir.