marai dernier jour
 
Ce roman hongrois, écrit vers 1940 relate le dernier jour de l'existence de l'écrivain Gyula Krudy, mort en 1933 et dont un livre a fait l'objet d'une fiche récente. En fait, il va bien au-delà, car s'il est une méditation sur les valeurs de GK telles qu'elles guidaient son comportement de grand écrivain dandy, un peu hors sol, elle est aussi une méditation sur ce qu'avait été la nation hongroise avant la guerre de 14, cadre du rêve existentiel de GK. Ce "monde d'hier", comme disait Zweig, qui avait fait de l'Europe, éblouie de liberté et de progrès, le centre du monde. Cette mise en perspective du concept de nation dépasse celui propre à la Hongrie pour poser simplement la question du contenu du mot et de son sens. Un très beau livre.
 
GK fut un écrivain hongrois majeur qui, après la guerre de 14 perdit une part importante de sa notoriété, qu'il ne retrouve que progressivement aujourd'hui. Son comportement de dandy capricieux, impécunieux, mais arrogant interroge. Ce roman va tenter d'en donner la raison en prêtant à GK une nostalgie dévorante de la grandeur du "monde d'hier", ce qui, d'ailleurs, se comprend. Il s'agissait sans aucun doute d'un monde enthousiasmant où les perspectives étaient sans limites. Mais cette époque révolue avait aussi donné à GK une notoriété et une richesse passagères qui allaient l'une et l'autre s'évanouir après 1920. Et la nation du "monde d'hier", la Grande Hongrie, allait fondre au soleil brûlant du traité de Versailles pour se réduire à ce que nous en connaissons aujourd'hui. Qui, dans ces conditions n'aurait pas manifesté une certaine nostalgie ?
 
L'auteur nous fait percevoir la conception que GK pouvait avoir de la nation idéale, celle qui pouvait donner naissance et héberger de grands hommes, essentiellement de grands écrivains dans son cas. Pages 95 et 96, il va jusqu'à proposer ce qui, d'après GK, donne "droit à une nation de vivre sur ses terres ancestrales". Il utilise alors une très belle image pour évoquer, lorsque ces conditions sont réunies, la force qui conduit ceux qui sont en phase avec cet état de perfection nationale. C'est une voix qui leur parle, qui les guide, qui convoie vers eux toute la force des ancêtres qui ont partagé cette harmonie accomplie. Superbe évocation que l'on trouvera aux pages 121 et 122.
 
On connaît mieux aujourd'hui les effets secondaires de cette idéologie, même si on peut la comprendre. La guerre de 14 aurait pourtant du alerter GK. De plus, rien n'est jamais permanent et, par exemple, cet ordre du monde ancien était essentiellement fondé sur un monde agricole où la terre était source de toute valeur. L'irruption de l'industrie avait déjà introduit des valeurs nouvelles qui ébranlaient sérieusement celles qui structuraient la pensée du monde d'hier. Cela continue aujourd'hui et chaque moment qui passe montre la difficulté pour chacun d'entre nous à voir ses valeurs bousculées, jour après jour. On comprend mieux ainsi la démarche désespérée de GK, sans partager pour autant son refus d'évoluer.
 
L'auteur produit ici un livre original, à la fois biographie d'un jour, mais aussi évocation d'un sujet majeur auquel il faudrait être insensé pour espérer une réponse simple. N'est-ce pas le propre d'un grand livre que de nous donner ainsi l'occasion d'aller un peu plus loin que notre vie courante ne le requiert ?
 
Le livre de poche No 35557, 255 pages