attali eveillesDans la ligne d'un certain "code" au succès foudroyant, ce roman nous laisse penser qu'a existé, qu'existe peut être encore, une secte mystérieuse, aussi secrète que possible, et qui détient depuis 2000 ans le secret de la réconciliation entre la foi et la raison. Alors, que ne le montre-t-elle ce secret pacificateur ? C'est que nous ne sommes pas prêts, parait-il. Argument désespéré pour une humanité qui a déjà plusieurs millions d'années d'âge. On reviendra dans deux ou trois millions d'années. Ou plus, si pas d'affinité.

Cet aimable canular aurait-il été mal écrit, je serais parti en courant. Mais JA est un maître. Car au fond, mystification un peu courte à part, c'est à penser autour de cette réconciliation de la foi et de la raison qu'il nous convie. Mais c'est surtout une invitation à fréquenter Averroès (voir son livre : Discours décisif) et Maïmonide dans leur jus. Son savoir, sa documentation, son sens du texte font le reste et, quoique l'on pense du fond, on sort ravi de cette lecture.

L'action se passe au 12 ème siècle dans le monde musulman d'alors, puissant mais en voie de déclin, perdant peu à peu sa tolérance et conduisant à l'exil ou à la mort ses grands hommes, comme le fera l'Europe du 20 ème siècle, d'ailleurs. Bien entendu cette réconciliation foi / raison, parfaitement utopique, n'aura pas lieu et n'aura, à mon avis, jamais lieu. Dialectique parfois utile, peut-être, fusion syncrétique non. Concilier la sécurité du dogme et la force de la révélation avec la sueur, l'incertitude et la responsabilité crue qu'entraîne l'usage de la raison ? On peut rêver.

Et bien, non. Nos braves Éveillés ont piégé Aristote en le déguisant en r-gourou (r- pour "raison", voyons !). L'église chrétienne médiévale avait aussi joué à ce jeu là, sans succès. Ici, notre r-gourou aura été jusqu'à pondre un "super-book", une sorte de bible/coran, qui "révèle" la voie. Pas de chance, il est perdu ; les Éveillés n'ont pas très bien fait leur boulot. Cette incursion de la révélation dans le domaine de la philosophie ne convainc guère. Le livre finit d'ailleurs en queue de poisson.

Il n'en reste pas moins que si je ne mords pas au fond (vous l'aviez peut-être compris ?) je reviens grâce à JA d'un merveilleux voyage avec des philosophes pré humanistes respectables et dont l'audace de pensée m'aide à garder l'espoir au milieu des fondamentalismes que j'ai vécus au XX ème siècle et qui, sous d'autres atours, vivent encore avec succès. C'est déjà pas mal, non ?
 
Editions fayard (2004) - 320 pages