Voici le journal d'une femme intellectuelle russe, chassée par les Soviétiques et qui pour survivre à Vienne devient crémière. Exil, méfiance, misère partout présente, incertitude du lendemain, peur parfois, l'épreuve est permanente et en aurait abattu plus d'un, moins déterminé qu'Alia.
Ce très beau livre fait suite à "Aube de vie et aube de mort", après le mariage d'Alia avec un prisonnier autrichien et leur fuite de Russie. Leur Autriche, dont ils attendaient merveille, est un pauvre pays, dévoré par le chômage et la misère. Il faut lire ce récit, où à petits pas, dans l'horreur du détail, Alia nous fait toucher ce que souffrir veut dire, aussi bien pour elle que pour ses clients autrichiens ! Sans une plainte, sans récrimination, sans accuser qui que ce soit de lui réserver une vie si dure.
Ce monde, qui ne sait plus où il va, n'incite pas à la tendresse ou à la compassion. Une facture en retard et c'est la faillite. Mais, puisque c'est la vie qui va, surgissent, sans qu'on les attende, des moments brefs de beauté ou de plénitude. Alia ne renonce jamais et surtout pas au bonheur. La nuit, en particulier, son esprit s'envole vers sa Russie idéalisée, sorte de paradis virtuel.
Un livre poignant, pour qui peut encore, dans les hurlements de notre monde qui ne sait plus que s'indigner, garder son coeur ouvert.