Ce roman se veut imaginatif, social, poétique. Il est délirant, bisounours dans sa vision politique et pratique un sabir infantilisant. On peut aimer, se laisser prendre, au moins un moment. Aller au terme de ce texte répétitif et si invraisemblable qu'il ne nous touche pas est un exploit que j'ai accompli. Merci. L'idée qui retient un peu est celle qu'existent autour de nous, en nous même, des êtres, les Furtifs, qui, comme des cellules souches, peuvent engendrer toutes les formes de vies, humaines ou autres. Les accepter et les accueillir c'est jouer leur jeu du changement, de la transformation et donc d'une forme de liberté indiscutable. Cela s'oppose au monde ordonné, policé, conduit par algorithmes, que notre terre est supposée subir dans un futur proche, dérive possible de nos tendances actuelles.
Imaginatif, tout ça ? Non, justement ! Car c'est une prolongation sans imagination du passé. Or les choses ne se passent jamais ainsi. Les Reichs de mille ans s'écroulent, le règne du prolétariat se dissout dans la famine, etc. De plus, les situations décrites ici sont si invraisemblables qu'on ne peut jamais s'y sentir associés. Vous avez vu un orchestre démanteler des véhicules blindés par l'harmonie de ses sons ? Cela se rapproche d'un jeu vidéo inculte et puéril, animé par des personnages fantasmés ou caricaturés, comme les parents abusifs de la mutante Tishka. Imaginative cette caricature de société en noir et blanc ? Tout l'art d'un roman est justement de savoir faire percevoir au lecteur les multiples faces des personnages, non leur masque. Si vous aimez les supers-héros, vous serez servis. La culture USA a gagné.
Le plus irritant est le prêchi-prêcha social que ce livre charrie. De la bouillie bien pensante et inconsistante, où les vrais justes sont les asociaux qui se saoulent, se droguent, les SDF, les immigrés, ceux qui construisent des vaisseaux spatiaux en ramassant des déchets, qui n'ont jamais rien fait ni appris, mais savent tout de l'informatique et algorithmique, savent chanter et jouer des instruments sans avoir travaillé, etc. On redoute ce que serait leur monde sans ceux qui avant eux ont pensé et réalisé ce qu'ils exploitent, y compris les déchets qu'ils révèrent. Image absurde et trompeuse d'une liberté primitive et solitaire dont on sait (sauf l'auteur ?) qu'elle conduit en l'absence d'une société civile établie à la guerre de tous contre tous et à la violence non maîtrisée, où les seules valeurs sociales sont celles de l'animal.
Et la poésie, alors ? Toutes ces lignes désarticulées veulent nous faire rêver. Elles y réussissent parfois. Images, jeux de mots, perspectives que l'on aimerait approfondir. Mais nous sommes vite rattrapés par un sabir infantile, souvent débile, interminable, où le verlan et les néologismes rugueux tiennent lieu de mélodie verbale. Ce langage prétentieux cesse d'ailleurs vite d'être une langue pour devenir un râle expressif. Communiquer ? Il est vrai que quand on n'a rien à dire, toute langue est bonne. Quant à penser un instant que l'échange social puisse se rétrécir dans une telle bouillie, cela peine et n'aide en rien à comprendre ou à faire face aux risques montants de notre civilisation.
Ainsi donc, sans doute un peu conservateur, je n'ai pas su apprécier cette grand-messe des nuls. Peut-être mes œillères bourgeoises assumées me privent de la grande vibration qu'ont éprouvée cent autres critiques qui encensent ce livre jusqu'à en faire un livre de l'année ! Un conseil : faites-le vous prêter avant de l'acheter ; on ne sait jamais...
N.B. Autre livre de AD déjà lu : La zone du dehors
La Volte (2019), 687 pages