J'ai été séduit par ce passionnant récit d'un voyage difficile, mais riche au cœur d'une zone en général peu connue de l'Europe centrale, entre Grèce, Bulgarie et Turquie. Voyage ? Pas seulement, car l'auteur est née en Bulgarie à l'époque glorieuse du socialisme scientifique et de ses infamies, dont elle reste d'ailleurs marquée. Elle possède ainsi un atout majeur : elle parle et comprend certains langages locaux, ce qui lui permet d'entrer assez profondément dans les usages, les croyances et les mobiles des populations des Balkans. Et elle va nous en servir de captivants extraits dans un style direct et léger. Lire ce récit vaut un beau voyage !

 

Mon penchant pour ce livre repose sur plusieurs de ses facettes. D'abord, c'est un récit de voyage magnifique, ce qui lui a valu le prix Nicolas Bouvier. C'est un voyage dans un pays qu'elle connaît mal, car il était fermé de barbelés à l'époque de sa jeunesse et son désir de mieux le découvrir n'avait alors aucune chance d'aboutir. Elle le réalise enfin, non seulement pour en éprouver la beauté, mais aussi et surtout pour partager avec les habitants les mœurs qui l'ont façonné en dépit des viols ottomans et soviétiques qui l'ont frappé. Et surtout, comme un voyageur curieux, elle aime, avant de mieux le connaître, tout ce que sa curiosité lui dit qu'elle va découvrir. Elle n'est pas un visiteur, elle est aussi, de cœur, un acteur et sait nous le faire partager, même si tout ce qui lui advient n'a pas le goût du sucre...

Ensuite, c'est un récit historique de ce qui a bouleversé cette région, sans qu'elle eût été la seule, bien entendu ! L'histoire fut cruelle pour ces communautés, victimes à de nombreuses reprises de déplacements forcés liés aux ethnies et aux religions, que les vainqueurs du moment et du lieu voulaient "purifier". On ne sait lequel des trois pays concernés mérite le pompon du dégagement brutal, mais dans la mise en œuvre de ces exils, la même indifférence humaine, la même cruauté fut de mise, détruisant des familles, leurs avoirs, leurs liens humains. La leçon n'a d'ailleurs pas été entendue et de nos jours où l'identité meurtrière n'a pas perdu sa viralité...

Enfin, le style direct et simple de l'auteur, comme une conversation sincère entre amis, sans pathos, est une merveille, surtout lorsque des faits tragiques sont rapportés. Et alors, une forme de partage devient possible, sans affirmations prétentieuses, sans intellectualisation, comme une évidence, où nul n'est tenu de juger. Et, même si nous nous contentons de voyager, nous sommes en excellente compagnie ! Pour ceux qui ne l'auraient pas lu, découvrez aussi sans tarder un autre récit de voyage un peu plus à l'ouest et du même auteur, "L'écho du lac", une autre pépite.

J'ai Lu 13276 (2017), 605 pages