Quelques limites à la curiosité scientifique.
Remarques inspirées par la lecture du livre "À l'aube de nouveaux horizons" de Nathalie Cabrol.
Février 2023
 
La recherche de biosignatures dans l'univers suscite chez moi l'admiration que mérite un travail d'une telle complexité, au carrefour de sciences diverses qui nécessitent chacune une vie de travail pour en saisir tous les rouages (mathématiques, physique, chimie, biologie, informatique). Mais cette recherche qui fait appel à tous ces savoirs ne s'expose-t-il pas ainsi au péril de l'à peu près et du périmé dans l'usage combiné de ces disciplines ? C'est, pour moi, retrouver ici la faiblesse intrinsèque de l'interdisciplinaire, rêve que je comprends, mais qui pourrait décevoir.
 
Pour avoir été physicien expérimentateur en physique des particules élémentaires, je sais aussi combien la perspective des résultats est un moteur fondamental de la recherche et de l'entretien de la curiosité des chercheurs. Monter une expérience, la mener et en extraire un morceau de connaissance dans un délai acceptable est le suc du désir scientifique. Si, en revanche, la lourdeur et le coût de l'expérimentation sont tels que des années, voire des décennies sont inévitables pour y parvenir, ou, pire, que les résultats ne se feront pas connaître au cours d'une carrière, comment maintenir et partager l'attente, comment conserver le savoir-faire dans un monde où, par essence, le changement et l'obsolescence sont la règle et comment composer avec le désir de l'homme d'être utile ici et maintenant ? De nombreux secteurs souffrent déjà de cette malédiction du temps long, comme la physique des très hautes énergies, la fusion nucléaire comme ITER, etc. Mais un climax est atteint quand des délais extrêmement longs sont nécessaires dans les recherches expérimentales dans l'espace, entre l'idée d'une mission scientifique et l'arrivée des données recueillies. Et ne parlons pas d'expériences qui supposeraient une sortie de notre système solaire ! 
 
J'ai enfin une crainte de stagnation, nourrie par la constatation que tout notre foisonnement technique actuel repose sur une science théorique conceptuelle de notre univers physique qui n'a pas fait de percée depuis 100 ans, en dépit des moyens considérables en ressources et en hommes dépensés pour que le progrès continue. Au-delà de la relativité et de la mécanique quantique, nul n'a sérieusement progressé. Cent ans, c'est beaucoup et les dépenses consenties pour ce résultat décevant pourraient bien un jour faire question.
 
Plus grave encore est la crainte que l'homme soit au bout de sa capacité à concevoir plus large et plus complexe que ce qui a été fait jusqu'ici. Il n'est rien dans l'univers qui ne soit pas fini et qui ne rencontre pas un jour ses limites. L'idée d'infini n'a sa place qu'en mathématique comme outil de travail qui ne manipule que des concepts et non le réel.
Il nous reste la théologie, forte consommatrice d'infinis, mais c'est une autre histoire !