"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Ce roman nous entraîne dans l'incroyable aventure d'un jeune ouvrier français, Lucien, dans les années 1939, empli d'espoir dans un communisme rédempteur. Il bénéficie alors d'une occasion de voyage en terre promise, grâce à son syndicat. Il va assez vite découvrir que, derrière une mise en scène qui peut faire illusion, la réalité de ce "rêve écarlate" est tout autre. Il le vivra dans sa chair, jusqu'au goulag. Sa libération en 1957 le conduira à Paris et à une autre désillusion, celle de la vanité creuse des jeunes intellectuels désorientés. La taïga russe infinie, la vie simple et paisible qu'on y mène, autant qu'un amour sage, l'attireront à nouveau, jusqu'à...
Le lecteur découvre dans ce roman un Makine apaisé, romancier capable d'émouvoir et de donner à penser en même temps, humaniste inquiet et sans illusion sur les systèmes et les constructions intellectuelles, qui avilissent l'homme et l'enferment dans la prison des mots et des idées fausses qu'ils peuvent engendrer. Quant à l’appât du gain et du pouvoir dans un monde qui ne respecte plus les règles et les contraintes de la vie collective et du respect des autres, le dénouement du livre l'illustre avec amertume. Peut-être l'auteur pourrait-il écrire maintenant un autre roman sur ce qu'éprouverait Christophe Colomb, s'il redécouvrait l'Amérique de 2025 ?
Comme l'immensité du Tibet, celle de la Taïga russe de l'est de la Sibérie est une révélatrice. La vraie vie (celle qui consiste a choisir entre deux parfums, Dior ou Chanel, par exemple) n'a pas cours là-bas. Les surcouches de civilisation s'effritent et laissent la statue interne de l'homme apparaître, dans ce qu'elle a d'essentiel. La morale elle-même n'est plus de mise si elle n'est qu'une convention. Seule reste celle qui s'est imprimée au fond de nous et qui colle à notre être. Notre cerveau limbique mène la danse, un peu gauchi par notre expérience. Et c'est sur cet homme là, pense AM, que peut se construire un monde, une autre vie. Proposition que je ne partage pas.
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