"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Makine, écrivain russe vivant, est un musicien des mots, de la pensée et certainement des notes... Il ne démontre pas, n'affirme rien. Il nous invite, par exemple, à l'accompagner dans cette gare froide et malodorante, où il attend un train pour Moscou au milieu d'une humanité modeste qui a froid mais qui supporte sans indignation son état d'"Homo sovieticus". Et il en fait une mélodie d'observations justes et souvent touchantes.
Des bribes de musique parfois rêvées, parfois réelles accompagnent cette attente. Et le narrateur échangera quelques mots avec un homme que le hasard placera à ses côtés dans le train de Moscou, homme qui se révélera être un pianiste accompli, que le la guerre et l'acharnement purificateur soviétique ont privé de son destin, presque de sa vie.
Le train favorise les confidences. En quelques instants la vie de ce pianiste a basculé, là-bas, lorsque ses parents, juifs ont été arrêtés par une police soviétique en mal de pureté ethnique et de pensée unique. Il se sauve et entre dans la clandestinité, trahi, abandonné. Empruntant l'identité d'un mort, il entre dans la guerre qui paradoxalement devient sa planche de salut. Il ira jusqu'à la victoire et le retour à la vie civile, sans cesse poursuivi par des éblouissements de musique, le signe du monde perdu.
C'est le détail, comme dans "Le testament français" qui révèle la qualité de Makine. Ses images sont douces, sensibles humaines. Jamais de violence inutile, de rébellion ;un art de vivre stoïque et exigeant qui n'est ni faiblesse ni renoncement. Ce livre est un hymne à la simplicité et aux hommes qui acceptent modestement de se construire sans illusion, dans un monde qui pèse lourdement sur eux. Une leçon d'humanité peu commune actuellement.
Ce livre sorti au "Mercure de France" en 1995 impressionne par les multiples prix reçus, ce qui n'est pas toujours positif sans réserve... Or, sa lecture a été pour moi un véritable plaisir. Je lui décerne donc aussi mon petit prix personnel et je vous invite à quelques heures agréables à sa lecture. Rien sans doute qui vous laissera marqué pour la vie, et c'est peu être aussi ce qui en fait le charme.
L'histoire est celle d'un jeune russe qui construit sa personnalité en recevant un gène que lui inocule sa "grand-mère" française. Absorption, rejet, assimilation, ces phases sont celles d'un parcours qui accompagne la maturité progressive du héros qui écrit son autobiographie. Cette francité nourrit ses aversions, mais aussi ses rêves et lui confère en fin de compte une personnalité riche et attachante.
Mais surtout le récit tient par l'atmosphère, elle totalement russe, qui en émane. Toujours un peu mélancolique, la description des paysages, de la vie d'un petit village sibérien à peine touché par la révolution, des hommes qui y vivent, tout cela sonne comme un enchantement aux mélodies feutrées et douces. L'intrigue y tient au fond une place bien modeste. La musique y a le premier rôle.
Vous aimez la musique ?
Éditions Folio 2934 (2001)
Page 3 sur 3