"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
L'histoire est jonchée de prophètes, d'illuminés, de fils de dieux, de lumières du monde, mais semeurs d'exclusion et de haine, dans des mots d'amour qui ratent leur cible. En voici encore un, Mani (216-276), qui se croyait le sceau des prophètes, le grand rassembleur, la clé de voûte des spiritualités. Avec tout son talent, AM le rendrait presque sympathique, malgré la prévention que ces êtres peuvent inspirer.
Ce roman est l'histoire, inquiète et tendre, du Liban récent. Chaque personnage, issu du big bang des guerres civiles symbolise à sa façon cette perte d'Orient. Un superbe livre, intelligent, serein, mais sombre.
De jeunes universitaires formaient un groupe plein d'espérance, nourri d'amitié chaleureuse lorsque les guerres civiles apportèrent la pesanteur incontournable d'une autre réalité. Celle-ci allait, peu à peu, imposer sa logique de survie. Ce groupe, qui vivait jusque-là dans la convivialité levantine va exploser. Chaque membre allait conserver de l'époque révolue le souvenir d'avoir vécu un temps privilégié, exceptionnel.
Voici un très beau conte, écrit en 2000, comme Maalouf sait les tourner pour un plaisir, sans doute fugitif, mais réel. Un voyage (des voyages !) dans un fauteuil.
Maalouf écrit bien et c'est sa première vertu. Une attente sans suspense, sans drame grandiloquent, sans sexe provoquant (un peu d'amour, d'ailleurs sans trop d'illusions). Une vie un peu plus active que la notre, à la portée de nos rêves. A ce ton "juste" se mêle souvent une pointe d'humour, distance suffisante entre le récit, son auteur et nous qui allions le croire...
Quant aux voyages, Maalouf nous les sert au coin du feu, pleins de rencontres et d'instants inquiétants. Et comme les vrais voyages, ils ne conduisent jamais notre héros qu'à lui-même, à ce qu'il craint, à ce qu'il croit, à ses doutes et à ses espoirs.
Le fil de tout cela ? Un raisonnable marchand de curiosités génois exilé "en Orient", Baldassare, part en 1665 à la recherche d'un livre aux mille pouvoirs (ceux qu'on lui donne ! ) qui lui a échappé des mains. Il le retrouvera et devenu sage par le truchement de ses aventures, le rangera dans un tiroir. Baldassare personnifie ainsi la raison qui doute, mais agit, dans un monde normal donc un peu fou, caractérisé ici par l'attente déstabilisatrice de l'apocalypse. Il glanera au passage quelques éléments de bonne philosophie.. et quelques amitiés.
Il n'en faut pas plus pour passer quelques heures de grand plaisir.
Éditions Livre de poche 15244 (2000)
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