"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
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Si, d'ailleurs, la lecture de ce livre devait se faire comme celle d'un roman classique, il faudrait une très grande indulgence pour y voir une aventure plausible. Rien dans cet amour fou n'est humain, à la fois démesuré mais passif, précaire mais infrangible. Un amour rêvé ou au moins porté par le rêve de l'un et l'autre des amants. Un amour qui justement excède les capacités et les sens de l'homme et qui ainsi conduit à l'au delà, au grand tout ou plus rien ne se distingue d'autre chose.
On peut d'ailleurs, sans forcer le trait, voir dans la femme qu'aime Dao-Sheng une incarnation de Guanyin, le dieu de la compassion l'Avalokiteshvara du bouddhisme du Grand Véhicule. Elle n'est même que cela dans le roman, compassion et détachement, ce très étonnant mélange qui caractérise le bouddhisme et symbolise au fond assez bien la marche réelle du monde. Solidarité de tous les êtres, qui peut le nier, mais en même temps indifférence de cette marche du monde à leur sort..
D'une manière assez intéressante on assiste aussi au rapprochement de deux civilisations à travers la rencontre de Dao-Sheng et des jésuites évangélisateurs. Même si les voies sont distinctes on sent le désir de l'auteur de fusionner les fins. N'est-ce pas aussi le chemin de F. Cheng, aujourd'hui académicien, qui a si magnifiquement épousé notre culture sans oublier la sienne ? On lira par exemple son superbe livre "le Dit de Tianyi".
Rendons aussi justice à la poésie incomparable de ce récit dont les scènes, qui se déroulent à la fin de l'ère Ming (XVII ème siècle), font souvent penser au vide et au plein des peintures Song, chefs-d'oeuvre de l'art du non dit chinois. Poésie qui à elle seule justifierait déjà la lecture de ce livre brillant et sensible.
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Il sera difficile de dire assez de bien de ce livre !
F. Ch. est chinois d'origine, poète et écrivain, passionné de peinture classique à l'encre (cf. "Vide et plein"), d'une grande sensibilité, qui vit en France et vient d'entrer à l'Académie française. Tout cela forme un mélange puissant, que le tempérament de F. Ch. rend inimitable et extrêmement original.
Tianyi est un autre soi dont l'auteur conduit le destin dans la Chine bouleversée des années 30 à 68. Tous les drames de ce pays martyrisé forment le fonds de cruauté et d'absurdité où le peintre Tianyi essaie de vivre, de découvrir et de conserver son identité, dans une sorte de long et douloureux voyage initiatique. Il connaîtra les japonais inhumains, la guerre civile, les folies et les crimes de Mao. Sa raison vacillera avant sa vie. Il verra autour de lui ceux qu'il aime disparaître dans un tourbillon que rien ne semble pouvoir entraver. Au milieu du roman, une pause à Paris, et un amour qu'il sacrifiera à un désir plus haut et idéalisé. Petite contribution platonicienne à l'absurdité ambiante qui, dans sa quête du sens de l'existence, lui fait échanger une réalité simple pour une chimère...
Et pourtant la lecture du livre apporte un réconfort, une sensation de toucher directement ce qui ne s'exprime pas bien mais qui émeut. Art de la peinture ou de la musique des mots ? Évocation réussie du rapport intime de soi et de la nature qui ne sont en fin de compte qu'une seule entité ? Quel régal que ces ruisseaux scintillants d'images de brumes et d'ombres que Tianyi nous offre ! Peut-être l'auteur a-t-il réussi à combiner, pour nous les rendre proches, les différentes cultures qui l'ont façonné, car aussi "chinois" que soit ce roman, rien ne nous en paraît étranger, tout nous touche. Ou plutôt n'a-t-il pas fait de cette Chine, qu'il aime et idéalise en dépit de ses erreurs cruelles, l'idée au sens de Platon de la cité des hommes ?
Un des plus beaux livres que j'ai lus, en tous cas !
Éditions Albin Michel 1998
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