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Le retour de la géopolitique et le choc des empires
La géopolitique et les conflits prennent en ce moment une place majeure dans nos existences après le long répit qui a suivi la chute du mur en 1989. S'il est un domaine qui résiste aux idées simples, c'est bien celui-là. Il fonctionne comme un réseau où l'entrecroisement et les réactions et contre-réactions des causes entre elles construisent un terrain d'exercice difficile à appréhender. C'est pourquoi ce livre, facile à lire, bien documenté et écrit par quelqu'un dont la connaissance de cette discipline n'est plus à démontrer apporte beaucoup sur ce qui se passe sous nos yeux et sur les suites éventuelles des forces en action, sans prétendre prophétiser. Russie, Chine, Iran, Turquie, mais aussi USA, Europe et Inde sont au menu. Bon appétit !
Diminution relative de l'influence de l'Occident qui perd ses illusions
Un premier fait, souvent oublié, est que l'Occident a perdu au 21e siècle sa suprématie économique et militaire, non tant en raison d'un déclin, mais en raison de la montée en puissance des autres. Les raisonnements géopolitiques dans un monde multipolaire ne peuvent donc plus être les mêmes qu'au paravent. De nouvelles puissances sont nées, particulièrement la Chine et l'Inde, qui n'envisagent plus l'organisation du monde sans que leur avis ait un poids.
Un autre est que les principes sur lesquels se fondait l'action internationale de l'Occident se sont révélés, pour partie, des illusions. On constate, par exemple, que la montée du PIB par tête n'entraîne pas de facto la démocratie. Et il y en a bien d'autres que l'ouvrage rappelle. De plus une certaine naïveté, particulièrement en Europe, a conduit à des choix mondialistes et d'ouverture sans frein qui sont aujourd'hui la cause de faiblesses difficiles à redresser, comme une dépendance aux ressources primaires (énergie, minéraux, main-d'œuvre, etc.). Je me permettrai ici une remarque personnelle sur les prétendus besoins de main-d'œuvre, qui ne sont en rien une fatalité, mais une mauvaise conception, généralement laxiste, des tâches à accomplir et de la conception des outils de production. Nous payons cette importation de main-d'œuvre sans formation aujourd'hui au prix fort. Quoi qu'il en soit, nos choix doivent maintenant tenir compte d'un arrêt de la mondialisation sans limites que nous avions connue.
Des valeurs autres que celles de l'Occident réclament leur place
Que se passe-t-il, alors ? Face à l'Occident se dressent des pays autrefois dominés par lui, qui veulent maintenant entrer dans le jeu avec des règles autres. Autocratie, impérialisme, nationalisme, fermeture, morale, religion sont alors leurs moteurs, qui se heurtent évidemment à la prétention de l'Occident à l'universalité de ses principes (libéralisme, liberté individuelle, égalité de droit, égalité des sexes, etc.). Mais aussi et peut être surtout, un immense ressentiment qui confère à leurs actes un poids passionnel et un désir d'en découdre, ce que leurs nouveaux moyens économiques leur permettent d'exprimer et qu'encourage leur perception, infondée selon l'auteur, d'un Occident faible et en déclin. Je me permettrai, là aussi, une remarque en annexe (page 2) sur la nature et le contenu de ce ressentiment incontestable.
L'auteur passe en revue les situations propres à chacun des grands acteurs et fait un point particulièrement approfondi de la situation en Russie. Sa perspective est sombre pour ce peuple noyé de rêves et mal dirigé. Il montre aussi les forces et faiblesses des autres protagonistes et montre bien que l'Occident dispose encore, face à ce monde troublé, d'une considérable capacité de réaction. Un message plutôt optimiste, fondé sur la capacité de la démocratie à se réorienter, à se corriger, souplesse que ses ennemis n'ont pas dans leur rigidité autocratique.
Un conflit possible, mais tiède, dont l'Occident doit tirer les leçons
Il réserve aussi deux chapitres sur les outils de dissuasion capables de limiter les embrasements. L'un d'eux porte sur la dissuasion nucléaire, sa pertinence de nos jours et les conditions dans lesquelles celui qui en use a une chance de persuader son adversaire. Car, en effet, rien n'est automatique dans cette perception où ce n'est pas l'outil qui compte, mais la détermination perçue par l'adversaire d'en faire usage contre lui. Délicat sujet !
Rien ne peut, ni ne doit d'ailleurs, être affirmé sur ce dont le futur sera fait. Trop d'ingrédients impalpables et plus proches de l'émotion que de la raison sont en jeu pour qu'une prévision fiable puisse être établie. Le monde éclate en unités qui veulent leur indépendance de concepts politiques et d'action, là où les institutions internationales avaient été, en gros, fondées sur l'ordre mondial issu de la paix de 1945. Or, bien des problèmes qu'affrontent les hommes sont d'ordre international ! De plus, les USA, à l'évidence, ont le désir d'un repli sur leurs intérêts propres et ne se voient que contraints et forcés, à intervenir dans l'ordre du monde. En ont-ils d'ailleurs toujours les moyens ? L'Europe et en particulier l'Allemagne doit méditer là-dessus.
Tentons pour conclure de résumer la perception à moyen terme de l'auteur. L'Occident a encore de beaux restes (son efficacité en particulier) et l'ordre international dispose encore d'institutions fortes, même si l'ONU est bloquée par les vétos (G7, Eu, Aukus, OCDE...). De plus, les pays contestataires sont loin d'être unis et ont, entre eux, des motifs de graves de dissensions. Enfin, l'histoire enseigne que les autocraties perdent souvent avec le temps le sens du réel et toute souplesse, conduisant à leur ruine. Il n'en reste pas moins que la montée en puissance de ces contestataires les rend dangereux et que la violence croît. L'histoire enseigne aussi que l'ordre et la paix sont plutôt des anomalies temporaires que la règle. Dans ce contexte, l'auteur parle non d'une guerre froide, mais tiède et donne 8 conseils pour tenter de garder à notre monde des conditions d'entente supportables. "Si vis pacem, para bellum" reste un excellent principe !
Un livre essentiel pour ne pas se réfugier dans les idées simples, l'émotion et la haine quand le tocsin commence à sonner !
L'Observatoire (2023), 280 pages