L'ouvrage important de Bruno Tertrais, "La guerre des mondes", évoque un ressentiment des pays contestant l'ordre occidental, comme un moteur majeur de leur action et de leurs passions. Il donne à ce ressentiment un contenu assez général que je voudrais préciser ici sur un point.
Pour faire bref, il me semble que ce ressentiment, attribué dans certains pays à des causes extérieures (colonisation, domination, morale, athéisme, etc.), résulte surtout d'une autre raison, leur échec économique et par la perception de plus en plus cinglante de cet échec. L'espoir les quitte d'une égalité internationale avec ceux qui réussissent. Il est en effet déchirant de se sentir paria, faible et destiné à le rester, incapable de produire des idées ou des actes susceptibles de redresser cela. Leur tentation est forte d'un refuge dans un passé mythique, dans les idées absolues déconnectées d'un réel qui les accable (les religions ou les idées politiques globalisantes, par exemple), dans la soumission à un tyran "génial", dans la haine. Refuges dont on pressent l'issue.
Constatons d'abord, en appui de cette proposition, la réserve relative des pays où l'espoir existe encore. L'Inde évite tout engagement dans la tourmente internationale actuelle. Elle se pense capable de progresser, même si sa verticalisation croissante du pouvoir risque de l'handicaper à terme. La Chine garde, elle aussi, une réserve vis-à-vis des événements mondiaux, confiante dans son avenir et sa puissance récente. Je suis pour ma part plus réservé sur ce pays qui oublie ce qu'il doit à l'Occident qui a imprudemment partagé avec elle son savoir et lui a permis sa puissance en lui ouvrant paresseusement ses marchés. Cette situation favorable ne durera pas et la rigidité de sa structure pourrait devenir un souci grave. Il convient à ce sujet de lire l'ouvrage de Frank Dikötter, "La Chine après Mao". Notons également la relative réserve des pays d'Amérique du Sud, dont certains n'ont pas perdu tout espoir.
Constatons en revanche qu'aujourd'hui les deux agresseurs du monde, la Russie et l'Islam fondamentaliste, sont les pays dont l'échec est patent pour des raisons différentes, mais au résultat semblable.
La Russie doit son reste de place dans le monde à sa dangerosité nucléaire, sans laquelle elle serait inexistante. Empire rêvé, incapable de construire une nation, structure économique de pays sous-développé vendant le produit de son sous-sol, la rigidité de sa structure sociale le privant des initiatives privées, l'allégeance à des hommes et non à des institutions, prédation, on ne peut que pleurer sur le sort de ce qui fut encore récemment la source de richesses scientifiques et artistiques magnifiques aujourd'hui taries. Qui n'éprouverait pas un terrible ressentiment devant ce gâchis ? Au point de ne plus faire d'enfant pour voir et subir cela.
Quant à l'Islam rigide, qui ne sait pas vendre ses moutons et croit que le pétrole est éternel, il rumine une grandeur qui fut celle du 12e siècle et une structuration de sa société, digne de cette époque. Malgré une richesse parfois indécente, payée, là aussi par l'Occident, les investissements locaux se font rares et la misère persiste. Ceux qui n'ont pas bénéficié de la manne ont renoncé à l'espoir et se cabrent jusqu'au suicide. Confusion tragique entre le royaume des cieux et celui des hommes, l'avenir est sombre et le ressentiment jaloux et haineux est là. Dieu conduit mal ses ouailles à être fières de leurs actes.
Il serait excessif de penser que ce ressentiment de l'échec est seul dans ce qui agite le cœur des hommes qui refusent les valeurs de l'Occident. Il me semble néanmoins qu'il mène leur cohorte et que la jalousie et l'envie sont et resteront des moteurs puissants des actions humaines.