"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
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Le "drapeau anglais" est la première nouvelle de ce livre qui en comporte trois. Elle n'est pas toujours facile à lire en raison du style particulier qu'emploie ici IK. Il s'agit plus de sentir que de comprendre ce que pouvait être la vie d'un homme qui veut rester libre à "l'ère de la catastrophe", c'est à dire à l'époque communiste en Hongrie, au moment de l'insurrection de 1956. Pour cela, il utilise un vocabulaire qui rappelle parfois la langue de bois de ces temps détestés pour créer un bouclier qui lui évitera de perdre son âme."Cette vie de jeune homme de vingt ans ne se maintenait que par son caractère formulable" dit-il."Dans ce monde, la seule oeuvre possible est le reniement de soi comme oeuvre" dit-il aussi. Son ironie amère nous fait sans doute mieux concevoir que toute description conventionnelle l'anéantissement humain que provoquait le communisme. La description de l'arrestation d'un "haut dignitaire" vaut son pesant de réalisme socialiste...
La seconde nouvelle est à mon goût la plus aboutie de ce recueil. Elle se livre avec parcimonie, par glissements successifs, qui n'otent pas toute ambiguïté à la situation décrite. La conscience du bourreau est-elle bien différente de celle de la victime ? Qui est vraiment ici bourreau et victime ? Et peut-on juger de semblable manière quand les circonstances sont autres ? Le recul de l'histoire, c'est aussi l'herbe qui pousse et transforme en pré fleuri un camp de la mort.
La dernière est plus classique : une aventure kafkaïenne dans un monde qui n'a pas tout à fait cesser de l'être. D'ailleurs, y a-t-il monde plus kafkaïen que celui des chemins de fer ? Un soir, un train...
Un très bon livre, qui ne se donne pas sans un petit effort.
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Dans la dernière année de la deuxième guerre mondiale, les juifs hongrois jusqu'ici épargnés sont rattrapés par la fureur antisémite. Imre Kertész (né en 1929) a alors 15 ans. Séparé de ceux qui lui sont proches, il va découvrir Auschwitz, Buchenwald et autres lieux, dont, par chance, il échappe.
Encore un livre sur cette tragédie ? Oui, mais il a quelque chose que nul autre n'a su, pour moi, rendre aussi fort.
Nous sommes avec l'auteur, non pour nous indigner ni surtout pour nous plaindre. Nous sommes avec lui pour vivre en dépit de tout, pour faire un pas, puis un autre. Ce que IR décrit n'est qu'accessoirement les camps qu'il traverse et ce qu'il y trouve. C'est surtout son propre cheminement pour survivre, sans emphase ni main sur le coeur, dans la banalité quotidienne de sa faim, de son épuisement et de sa solitude.
Et la clé de sa survie, c'est bien dans l'absence de "destin" qu'il la trouve, et surtout dans l'absence de destin de victime. Il ne juge pas, jamais, le milieu de mort et d'anéantissement où il est plongé, ni n'accuse personne d'être responsable de son malheur. Il prend cet état comme un fait avec lequel il faut vivre et exercer sans cesse sa liberté, conscient qu'il peut mourir s'il ne trouve pas l'épluchure de pomme de terre ou le verre d'eau qui lui donneront un nouveau sursis. Il trouve dans cette liberté d'homme la force de se battre, d'exploiter sa chance, d'être même parfois heureux, quand bien même les cheminées fument et empestent autour de lui. Nul ne comprendra son état d'esprit lorsqu'il rentrera en Hongrie, où tous veulent anéantir sa liberté en lui collant sur le dos le "destin" de victime juive. Non, Monsieur Imre Kertész n'a pas été broyé par son destin ; il n'en n'avait pas.
L'autre absent de marque de ce livre est le grand magicien-dieu, qui a fait les hommes, y compris les nazis brûleurs de juifs, à son image. IK gardera sur lui et le même silence que ce dernier manifeste vis à vis des hommes dans leurs tragiques épreuves. C'est toute la dignité de l'athéisme.
Un livre magnifique et bien écrit qui a parfaitement mérité sa distinction du Nobel.
Éditions Actes Sud 1998